Jacques Treiner participera mardi 26 novembre au Forum«L’usine et le territoire» organisé par Libération avec la région Occitanie.
Nous vivons de transformer la matière, pour en faire des biens et des services. Les chasseurs-cueilleurs disposaient de leurs bras et de leurs jambes pour cela, nous disposons aujourd’hui de machines qui effectuent ces transformations à notre place, en utilisant des matériaux primaires qu’on appelle des sources d’énergie. Le terme «industrie» désigne les modes de production depuis que les sources d’énergie sont devenues les sources fossiles (charbon, pétrole et gaz), c’est-à-dire des sources d’énergie concentrée : un litre d’essence contient 20 fois plus d’énergie qu’un humain peut en fournir en une journée de travail. Chaque habitant d’un pays riche mobilise en machines environ 250 fois l’énergie qu’un corps humain est capable de développer. Chacun de nous dispose ainsi de centaines d’esclaves énergétiques qui assurent notre niveau de vie. Si nous percevons aujourd’hui les limites de la planète, c’est en raison de la redoutable efficacité avec laquelle nous sommes capables de mobiliser des sources d’énergie pour nos usages.
À toute transformation de la matière la physique sait faire correspondre un bilan énergétique. Mais ces transformations donnent aussi lieu à une autre comptabilité, en termes monétaires cette fois : le PIB, somme des flux monétaires associés à la production des biens et des services. Le passage d’une comptabilité à l’autre n’est donc qu’un changement d’unité : PIB et consommation d’énergie varient ensemble, et depuis au moins 60 ans, en moyenne mondiale, il faut 1,6 kilowattheure d’énergie pour générer 1 dollar de PIB. Aujourd’hui, compte tenu de ce que 80% de notre énergie primaire provient des combustibles fossiles, faire du PIB, c’est dérégler le climat.
S’attaquer au problème climatique, c’est substituer aux combustibles fossiles des sources d’énergie non carbonées : renouvelable et nucléaire. À quoi peut servir la science dans le débat public concernant cette entreprise ? D’une part, à distinguer une opinion d’un énoncé scientifique, et d’autre part à préciser les ordres de grandeur en jeu. On peut avoir une opinion sur n’importe quel sujet – il suffit de fréquenter le bistro le plus proche pour s’en persuader - mais il n’y a pas de réponse scientifique à toute question. En science, il y a les choses qu’on sait bien, les choses qu’on sait moins bien, les choses qu’on ignore et les choses qu’on ignore ignorer. Mais comme rien de contraire aux lois de la physique – lesquelles ne se votent pas au Parlement – n’adviendra jamais, il est crucial de savoir reconnaître les sources d’information scientifique fiable de celles qui ne le sont pas.
Quant aux ordres de grandeur, s’agissant des systèmes énergétiques, leur estimation constitue le premier pas d’une démarche qui va d’une idée peut-être bonne à un projet peut-être intéressant, d’une découverte à une invention, de la science à la technologie. Une idée n’est utile que si elle est à la mesure du problème posé. Vu l’ampleur des enjeux, les chiffres, ça compte.
Jacques Treiner est notamment l'auteur d'Un peu de science, ça ne peut pas faire de mal, Ed. Cassini, 2019.