La joindre a été un peu compliqué. Rien à voir avec le fait qu’elle se trouvait dans le grand nord de l’Ecosse, mais plutôt parce que son
«téléphone vit sa vie depuis une chute»,
nous confie-t-elle finalement. Olga Lossky, 38 ans, le reconnaît volontiers :
«Je suis un peu une gourde de la communication, j’ai été élevée dans la lenteur, celle des pages d’un livre qu’on tourne.»
L’aveu ne manque pas de sel quand il est formulé par l’auteure de
Risque zéro,
un roman autour d’une société hyperconnectée, à la recherche du contrôle absolu, de la prise de risques minimale voire absolument nulle (1). Ce n’est pas de la science-fiction, on est en 2039. Demain. Les Uber ont été remplacés par des voitures automatisées sans conducteurs et une puce sous-cutanée, la
«plume d’ange»,
calcule en direct les battements de votre cœur, votre tension artérielle et votre cholestérol. Au moindre événement qui pourrait vous mettre la rate au court-bouillon, la puce vous prévient et, si nécessaire, vous envoie à l’hôpital.
«Forcer un peu le trait»
«J'ai eu l'idée de ce roman il y a une quinzaine d'années, autour de l'idée d'une "assurance vie éternelle", c'était vraiment de l'ordre de la science-fiction», raconte Olga Lossky. Quinze ans plus tard, «les évolutions sociétales sont telles que je me suis dit que je pourrais essayer d'écrire un récit plus réaliste». Rien n'est invraisemblable ou inimaginable, rien ne désarçonne complètement, on s'y voit, on y croit. «J'ai juste poussé un peu les avancées technologiques pour systématiser cette prise de risque zéro, forcer un peu le trait.»
Ce qui intéressait Olga Lossky, c'était la réaction face à ces évolutions. «Ma question était : face à l'hypertechnologie, quel recours a-t-on ?» On intègre tout ou on rejette ? On résiste ou on trouve un compromis ? Et d'ailleurs, est-ce qu'on peut tout rejeter ?
Agnès, l'héroïne, médecin anesthésiste, se pose toutes ces questions, torturée par cette ambiguïté à laquelle elle n'a finalement pas de réponse. Parmi les personnages, un couple, celui des arrière-grands-parents d'Agnès, a opéré un choix radical, en s'isolant de toute technologie, en se créant, dans la campagne perdue, un monde totalement autarcique. «En fait, je n'ai pas cherché le modèle très loin, je me suis inspirée de mes parents qui ont fait le choix d'une vie extrêmement frugale, et mis le paquet sur les richesses spirituelles», confie Olga.
Elle est l'arrière-petite-fille du théologien orthodoxe Vladimir Lossky qui, avec sa famille, a quitté la Russie après la révolution russe. «Je prends ce choix comme un héritage de l'immigration russe. Souvent, les Russes blancs ont quitté un pays où ils disposaient d'un certain confort matériel et se sont retrouvés sans rien. Ce qui leur restait, c'était les ressources intellectuelles.»
L'impact de l'hypertechnologie sur la dimension spirituelle de la société est au cœur du roman. «Dans notre société, on est toujours dans le comment, on est fasciné par la réalisation de prouesses techniques extraordinaires, et souvent à juste titre, mais on se demande moins souvent pourquoi. On prolonge la vie, mais on ne se pose pas la question du pourquoi. Quel sens cela a-t-il ? On pose la prouesse technologique comme une fin en soi», remarque Olga Lossky. Pourtant, «on n'est pas qu'un ensemble physique, on a aussi une dimension émotionnelle, spirituelle. Quand je parle de spiritualité, c'est au sens large, c'est l'acceptation d'une réalité qui dépasse notre ensemble de cellules et notre dimension chimique, c'est ne pas oublier la part de mystère de la vie, le fait qu'on ne peut pas toujours tout "horizontaliser", analyser ou décortiquer».
«Sens de la médecine»
«Mon idée était de ne surtout pas être dogmatique, mais de susciter le développement personnel, de remettre la personne au centre, l'individu, avec une dimension plus oblative, ouverte sur le monde extérieur», explique l'auteure. Finalement, l'hyperconnexion, est-ce que c'est de la relation humaine ? «L'hyperconnectivité est une richesse extraordinaire, permet des interactions fantastiques, mais est-ce que ça remplace une relation directe ?» Et d'évoquer la médecine, très présente dans son roman. «Je m'intéresse aussi à cette interrogation sur le sens de la médecine. On soigne l'organe, avec des appareils de plus en plus sophistiqués, mais ce qui participe au soin c'est aussi le contact humain, l'interaction. Je me souviens lors de mes accouchements, dans des situations hypermédicalisées, quand on se sent devenir juste un objet médical, c'est le contact qui vous ramène à votre dimension humaine.»
L'écrivaine se dit «complètement optimiste». «C'est ma conviction personnelle que la nature humaine est fondamentalement bonne.» Elle évoque les mouvements de défense de la planète, «l'implication des jeunes, on veut vivre en symbiose avec notre monde, alors qu'on arrive au bout d'un système hyperconsumériste». «Mon livre est un peu une mise en abîme et pose une simple question : quel monde veut-on demain ?»
(1) Risque zéro, d'Olga Lossky. Denoël, 332 pp., 20,90 €. Lire notre critique, «Risque zéro, c'est grave docteur ?», sur Libération.fr.