Vincent Charlet participera mardi 26 novembre au Forum «L’usine et le territoire» organisé par Libération avec la région Occitanie/Pyrénées Méditerranée.
Des décennies durant, l’emploi manufacturier a perdu de son importance au sein des agglomérations pendant qu’il en gagnait dans les territoires ruraux. Quelques usines ont été déplacées, certes, mais c’est surtout parce que l’emploi agricole diminuait et que les centres-villes se garnissaient de bureaux. En réalité, les entreprises implantées loin des villes ne s’en portent pas toujours bien. Pour quelques territoires dynamiques (en Vendée, dans le Lot, en Haute-Savoie…), combien d’entreprises souffrent de ne pas pouvoir recruter ? La moitié des employeurs aujourd’hui évoquent des problèmes de recrutement, et ils sont 80 % parmi les dirigeants de PME industrielles.
Sur cette toile de fond, a récemment prospéré un storytelling prophétisant que, grâce aux nouvelles technologies (impression 3D…), les usines pourraient retourner sans coût ni dommage près des centres-villes, où vivent les recrues dont elles ont besoin. Ce récit, bien sûr, se heurte au souvenir douloureux des accidents d’AZF à Toulouse ou de Lubrizol à Rouen. Il est de doute façon simpliste et faux.
Premièrement, on n’a jamais vu la technologie seule modeler la géographie humaine. Les «high-tech» sont fascinantes mais ne révolutionnent pas les modèles d’affaires des entreprises ni leurs besoins en mètres carrés. Bien au contraire : l’industrie s’enracine dans les territoires sous l’effet de facteurs économiques et géographiques multiples : un arsenal, un réseau d’autoroutes, une communauté d’entrepreneurs efficaces, des jeunes qualifiés… Une fois implantées, les usines se déplacent peu.
Deuxièmement, les sites industriels sont déjà au contact des villes dans leur majorité. Il ne faut pas confondre les territoires ruraux fortement industriels mais peu peuplés et ceux, très largement urbains et tertiaires, où l’industrie compte tout de même ses principaux bastions. Les plus grands sites industriels de France se trouvent à Toulouse, Poissy, Clermont-Ferrand, Marignane… L’usine n’a jamais cessé d’être urbaine ; les nouvelles technologies, propres et modernes, renforceront peut-être ce trait.
Ces grandes usines de l’automobile ou de l’aéronautique ne présentent pas de risques majeurs. Les sites «Seveso», aux équipes plus restreintes, sont eux aussi sur les principaux axes de communication (fleuves, ports…) et donc à proximité des aires urbaines. Là encore, on voit mal comment la technologie pourra d’un coup déplacer ces usines qui n’ont pas bougé en un siècle, même si elle rendra les installations plus sûres ou les produits moins polluants. La sécurité industrielle ne sera donc pas renforcée en déplaçant les usines mais en améliorant la qualification des équipes et la réglementation. Autrement dit, l’usine a besoin de la ville pour être sûre, tandis que la ville a besoin d’industrie pour produire les richesses que l’on attend d’elle.