«L'essor de l'IOT Valley, c'est la preuve que l'on peut sortir à Toulouse des deux grands poumons économiques locaux que sont l'aéronautique et l'aérospatiale.» Ce cri du cœur, c'est celui d'un jeune créateur de start-up de l'écosystème de référence français - et même européen - de l'Internet des objets (abrégé IOT en anglais). Ses applications quasi infinies - surtout professionnelles - sont promises à un bel avenir à l'ère du tout-connecté avec notamment l'arrivée prochaine de la téléphonie mobile à ultra-haut débit 5G.
Situé à Labège, à la limite des champs, sur un ancien site du laboratoire pharmaceutique Sanofi, cet ensemble de 40 jeunes entreprises et 700 personnes n'est qu'à une dizaine de kilomètres du centre-ville, au sud-est de la métropole toulonnaise. Et depuis sa création en 2011 dans le sillage de Sigfox, l'opérateur du principal réseau cellulaire mondial à bas débit pour l'Internet des objets déjà présent dans 65 pays avec plus de 300 millions d'euros levés, ce projet n'a cessé de prendre de l'ampleur à la faveur de débouchés dans l'industrie mais aussi les services. Comme le dit Thomas Devineaux de la start-up Louis, qui utilise l'IOT pour produire du mobilier de bureau en bois 100 % personnalisable et recyclable, «il s'agit d'un domaine très transversal, avec des débouchés potentiels dans tous les secteurs d'activité ou presque. En faisant dialoguer entre eux les objets via des capteurs archi-miniaturisés, on peut optimiser notre production, le tout pour un coût de plus en plus faible». A l'origine de l'IOT Valley, le PDG de Sigfox, Ludovic Le Moan, entendait susciter des vocations en faisant éclore des applications autour de son réseau «0G». Persuadé que l'Internet des objets se trouve alors dans la même phase que le Web en 1994, il s'agissait d'attirer des entreprises partenaires (ETI et grands comptes) en les aidant à réfléchir sur les applications IOT susceptibles de les aider à résoudre leurs problèmes.
Appel à projets. La SNCF, qui exploite un réseau d'environ 30 000 kilomètres, sera parmi les premières à ouvrir des locaux au sein du campus naissant. Un espace dédié à l'innovation baptisé le «574» (le record de vitesse du TGV) y voit le jour pour explorer le potentiel des objets connectés et des capteurs dans le cadre de la maintenance industrielle. D'autres grandes entreprises (20 à ce jour) suivront comme Intel, Cap Gemini, le groupe Carrefour ou encore le groupe aéronautique Daher qui viennent suivre des «formations IOT» lors de journées d'immersion à Labège.
Des simulations baptisées «ateliers catastrophes» permettent d'identifier les difficultés auxquelles ces industriels doivent faire face (pannes, contrôle de la qualité et de l'optimisation de la production pour les usines) et d'élaborer des cas d'usage. «On s'est rendu compte que, dans nombre de cas, ces solutions n'existaient pas sur le marché et qu'il fallait donc créer les start-up qui allaient pouvoir les résoudre», explique Bertran Ruiz, le directeur depuis 2015 de l'association IOT Valley.
D'où le lancement d'un incubateur cette année-là, afin «d'accélérer» des projets de start-up à partir des besoins identifiés par les industriels partenaires dans une logique de cocréation. «Le projet est allé au-delà du plan initial, on a été dépassés et c'est tant mieux, témoigne Ludovic Le Moan. Après avoir rapproché le monde industriel de l'IOT, il fallait trouver les entrepreneurs qui allaient donner vie à toutes ces solutions. Aujourd'hui, poursuit-il, les trois quarts des start-up nées au sein de l'IOT Valley sont toujours en activité.»
En septembre, un nouvel appel à projets pour la création de dix nouvelles start-up en 2020 a d'ailleurs été lancé avec 2,5 millions d'euros d'investissements à la clé. «Nous avons aujourd'hui plus de projets que de personnes pour les réaliser, poursuit Bertran Ruiz, dont l'équipe de permanents de l'IOT Valley comprend 35 salariés avec un budget annuel de 2 millions d'euros. Que ce soit dans l'industrie, les services ou encore la construction, certaines des problématiques pour lesquelles nous avons des clients parmi nos partenaires n'attendent qu'à être résolues et développées.»
Cette approche très empirique, c'est celle qui a guidé Arnaud Huvelin, le fondateur de la société Declique tout juste née. En étudiant les «micro-arrêts» qui sont le lot commun de toutes les chaînes de fabrication et diminuent d'autant la productivité et la qualité des pièces produites, ce dernier a mis au point une méthode pour les quantifier et les analyser avec l'introduction de boutons sur lesquels les opérateurs doivent appuyer à chaque défaillance. «Cela permet de détecter l'origine des problèmes et d'en mesurer l'impact financier, dit cet ingénieur de formation dont la solution est déjà expérimentée par le groupe Spie ou Liebherr Aerospace. Le parallèle est peut-être audacieux mais l'IOT a le potentiel de révolutionner l'industrie comme le taylorisme l'avait fait en son temps. A condition que l'on ne se contente pas d'accumuler des tonnes de données en truffant les usines de capteurs mais de créer les services qui vont autour.»
Agrandissement. Si peu d'entreprises de l'IOT Valley dépassent les 50 salariés, la notoriété et la croissance sont déjà au rendez-vous pour certaines d'entre elles comme Flipr (un objet connecté pour piscines), Ubigreen (gestion de l'énergie des bâtiments) ou encore Cenareo (affichage dynamique des écrans). En échange de l'hébergement et de l'accès aux différentes prestations de l'IOT Valley parmi lesquelles un soutien financier d'amorçage de 250 000 euros apportés par la BPI, les élus s'engagent à reverser 4 % de leur chiffre d'affaires au-delà de 500 000 euros.
Présente sur trois sites totalisant 13 000 mètres carrés, l'IOT Valley, à l'étroit, va s'agrandir prochainement avec la construction d'un nouveau campus de 20 000 mètres carrés qui pourra accueillir 1 200 personnes pour un investissement de 42 millions d'euros. «Ce sera le grand lieu de la transition des entreprises vers les objets connectés», assure Bertran Ruiz, selon lequel il est vital que les entrepreneurs sélectionnés réinvestissent dans le tissu local. Pour Sigfox, qui occupera un tiers du nouveau bâtiment, le fait de pouvoir réunir tout le monde au même endroit permettra de multiplier les synergies. «La France et l'Europe ne pourront jamais concurrencer la Chine et les pays émergents en termes de coûts, conclut Ludovic Le Moan, l'homme à l'origine de l'IOT Valley. En revanche, et grâce aux apports de l'Internet des objets, il y a un coup à jouer pour réindustrialiser la France en faisant le pari d'une montée en gamme avec une meilleure maîtrise des coûts de production. C'est ce à quoi l'on va continuer de s'employer à Labège.»