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Enquête

Haro sur le gaspillage alimentaire

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Dans le secteur de l’alimentation, gros pourvoyeur de déchets, de nombreuses initiatives sont à l’œuvre pour endiguer le phénomène.
(Photo Alain Pellorce. Naturimages.)
publié le 28 novembre 2019 à 18h11

«On est foutu, on mange trop», chantait Alain Souchon en 1978. Quarante ans plus tard, il pourrait ajouter «on est foutu, on gaspille trop». Au pays de la gastronomie, on jette infiniment trop d'aliments : 10 millions de tonnes par an, soit 20 tonnes par minute, 317 kilos chaque seconde, pour un coût de 16 milliards d'euros, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Les particuliers sont responsables d'environ un tiers de cette dilapidation : chacun d'entre nous gaspille 29 kilos de nourriture par an (1). Sans oublier l'impact carbone de la production de cette nourriture jetée à la poubelle, évalué à 15,3 millions de tonnes équivalent CO2, soit 3 % de l'ensemble des émissions de l'activité nationale. Triste bilan.

Un gâchis qui concerne tous les maillons de la chaîne : production, transformation, distribution, restauration, consommation. Pourtant, la France a été la première à adopter un cadre législatif avec la loi Garot du 11 février 2016 et le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, lancé le 14 juin 2013, qui fixe comme objectif la division par deux de cette pratique à l’horizon 2025.

Recettes

Pour mieux comprendre pourquoi nous jetons autant d’aliments, dont un quart encore emballé, l’Ademe a mis en place l’opération Zéro gâchis académie. Une action de sensibilisation organisée avec l’aide de trois associations de consommateurs : CSF à Bayonne, Familles rurales en Normandie et CLCV dans les Hauts-de-France et en Bretagne.

De janvier à juillet, 243 foyers (744 personnes) ont été invités à choisir trois gestes simples parmi les neuf proposés. Avec des résultats significatifs : le gaspillage est passé de 25,5 à 10,4 kilos par personne et par an, soit 59 % de réduction. Ces foyers ont ainsi évité la perte de 10,7 tonnes de nourriture, l'équivalent de 21 400 repas. Cerise sur le gâteau (non jeté) : trois mois après la fin de l'opération, tous les foyers continuent d'appliquer les recettes d'un comportement responsable comme «je connais mes stocks dans le réfrigérateur, le congélateur et dans mes placards» ou «je regarde les dates de conservation et les formats des produits pour qu'ils soient adaptés à mon besoin». Preuve qu'une fois acquis, les réflexes antigaspi peuvent s'installer dans la durée.

Les deux tiers du gaspillage étant le fait des organisations publiques et privées, celles-ci doivent également apprendre à lutter contre cette pratique. C'est la mission du bureau d'études Verdicité installé à Montreuil depuis vingt ans. «Nous étudions la qualité du gisement [de déchets, ndlr], nous faisons des prélèvements et nous les trions en catégories, des déchets organiques aux matériaux divers (plastique, papier, etc.)», explique ainsi Christophe d'Arexy, cogérant de la société.

La restauration collective (4 milliards de repas servis par an) est un gros producteur de ces déchets alimentaires. Verdicité se rend dans les établissements scolaires pour les aider à mieux gérer leurs restes : «Nous faisons un diagnostic sur l'organisation. Comment sont présentés les repas aux élèves ? Faut-il mettre toutes les entrées dès le début ou plutôt les proposer petit à petit ? Nous fouillons les poubelles pour étudier ce qui a été jeté et nous mettons en place un plan d'action concerté avec la cuisine. Des actions qui permettent de faire des économies pour pouvoir ensuite acheter du bio», poursuit Christophe d'Arexy.

Même processus chez Compass, troisième groupe de restauration collective, ou le Club Med. Des initiatives plus fréquentes dans les collectivités locales que dans les entreprises. La mairie de Paris expérimente depuis 2017 dans les IIe, XIIe et XIXe arrondissements la collecte des déchets alimentaires, avec une poubelle spéciale au couvercle marron et de «p'tits bacs», des bioseaux de 7 litres dans lesquels on place un sac biocompostable. Une collecte qui devrait être étendue à toute la capitale.

Généralisation

Dans le secteur privé, ce type d’action est encore rare, alors même que la loi oblige tous les professionnels qui produisent plus de 10 tonnes par an de biodéchets à les trier et les valoriser. Pourtant, tout le monde va devoir s’y mettre : la loi de transition énergétique pour une croissance verte (LTECV) prévoit une généralisation du tri à la source des biodéchets d’ici à 2025. Une date très rapprochée alors que selon Zero Waste France, seuls quatre millions de Français possèdent une poubelle spécifique pour les déchets organiques. Il va falloir convaincre les 60 millions restants de faire ce geste citoyen…

(1) Lire notre enquête «Alimentation: sus au pourri gâché» du 30 octobre 2018.