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Libération
Témoignage

«On est riche de ce qu’on donne»

Instincts solidairesdossier
«Libération» a rencontré trois bénévoles de l’agglomération mulhousienne investis auprès de personnes âgées.
publié le 29 novembre 2019 à 17h21

Jean-Marie Muller, professeur de gym douce

Cet ancien directeur d'agence bancaire a répondu en 2012 à une petite annonce publiée dans le journal local par l'association Apalib' de Mulhouse : «Cherche bénévole pour faire de la gym douce.» Et «quand on entre dans une association, on vous trouve toujours quelque chose à faire», plaisante-t-il. Les deux heures par semaine prévues initialement sont devenues «beaucoup d'heures, beaucoup de jours». Jean-Marie, plutôt passionné par le ballon rond, a dû tout apprendre de la gym douce et sur chaise. Comme tout bénévole du réseau APA (ensemble d'associations d'aide et soins à domicile), il a suivi des formations initiales et de perfectionnement. Et puis, il a pris goût à la vie associative, au fait de «donner de son temps pour les autres».

C'est qu'il s'est attaché à son groupe de dames âgées de 55 à 85 ans… «Elles font la gueule si le cours n'a pas lieu. Même si elles ont des douleurs, des articulations fragiles. On n'en fera pas des championnes, mais on leur permet de mieux vieillir et elles pensent à autre chose qu'aux bobos», s'exclame-t-il. Jean-Marie voit des amitiés se tisser. Les dames se confient, se retrouvent parfois en dehors. «Ce sont les bénévoles qui sont de plus en plus rares à trouver. Les nouveaux retraités aujourd'hui veulent voyager, s'occuper de leurs petits-enfants, s'engager à la carte, ponctuellement, sans contrainte», décrit-il. Pourtant, «les études prouvent que les gens bénévoles et ont une espérance de vie plus grande», argumente-t-il.

Linda De Burgo, visiteuse à domicile

Quand elle débarque à Mulhouse en 2000, Linda a «besoin de s'occuper». Elle qui aime tant le contact humain, les gens, frappe à la porte du réseau APA. Elle commence comme bénévole dans un accueil de jour, aide pendant les repas, les activités mais, rapidement, elle se demande comment aider ceux qui ne peuvent pas venir. C'est ainsi qu'elle a commencé les visites à domicile. La première dame est presque centenaire, malvoyante, sans enfant. «Je me demandais bien ce que nous pourrions faire. En plus elle était très renfermée sur elle-même, se souvient Linda. Et finalement, on a trouvé des tas de sujets de conversation.» Linda raconte les après-midi tricot. «Il y avait des trous partout ! Alors je rattrapais les mailles. "Vous me faites de la dentelle", je lui disais. Et on riait bien.» Quand elle s'est éteinte, c'est Linda qui a porté les vêtements aux pompes funèbres.

Puis il y eut d'autres dames et des messieurs… Linda raconte ces relations si spéciales qui se nouent, un après-midi par semaine, chaque semaine, pendant des années, «jusqu'au bout», lâche-t-elle. Jusqu'à la mort. «Aucune rencontre n'est identique», dit Linda. Elle connaît les familles, entre dans leur intimité et leurs histoires. Linda monte aussi des dossiers, s'implique pour obtenir un fauteuil roulant. Elle parvient à emmener au cinéma un veuf, jusque-là terrassé de chagrin. Elle le convainc de s'appareiller, de changer de voiture… «Il se réenclenche chez eux une envie de vivre.» Et de conclure : «Je me sens utile, je leur apporte une forme de délivrance. Il ne faut pas être déprimée, ne pas s'écrouler. Mais il faut donner, on est riche de ce qu'on donne.»

Geneviève Meyer, bénévole en Ehpad

Elle est débordée Geneviève, en pleins préparatifs pour la grande kermesse de l'association des bénévoles de l'Ehpad de la Maison de l'Arc qu'elle préside. Ils ont fait 62 kg de bredele, des petits gâteaux de Noël alsaciens, et installé des stands, des livres, des peluches partout pour le loto. Les résidents observent avec amusement cette effervescence. Avec Geneviève, tout est sous contrôle. «Vous nous faites beaucoup d'amitié à venir», dit-elle en nous accueillant.

Geneviève, ancienne cheffe d’une entreprise de 500 personnes, grande dame impeccablement mise, douce, compte un demi-siècle de bénévolat. «Je suis une passionnée de l’humain», dit-elle simplement. Et elle veut la transmettre, cette passion. «Il faut un savoir être et un savoir-faire, du recul, de la maîtrise de soi et de l’humilité pour trouver les bons gestes, la bonne distance afin d’œuvrer dans une maison de retraite. On peut faire beaucoup de mal en pensant bien faire.» Alors l’association fait des formations pour toutes les bonnes volontés. Et elles sont nombreuses. Ils sont désormais une centaine de bénévoles à s’investir, complémentaires des salariés de la structure. Ils ont même mis sur pied un parcours d’intégration pour chaque nouveau résident. Geneviève était la première bénévole, lors de la construction de l’établissement, voilà 30 ans. Elle s’était dit qu’à 80 ans, elle raccrocherait. «Seulement, c’est tellement vivifiant…» Elle en a 82. Et de sourire : «On n’a pas le temps de vieillir.»