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Océane Lannoy, bâtisseuse d'avenir

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Environnement, biodiversité, éducation, consommation... Ils s'engagent au quotidien. Aujourd'hui Océane Lannoy, membre d'Ingénieur·e·s Engagé·e·s, une association visant à repenser la place des ingénieurs dans la société.
par Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 17 décembre 2019 à 11h41

Image animée : Simon Bailly

Océane Lannoy est en cinquième année à l'Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon, une école d'ingénieurs réputée. Pourtant, l'étudiante de 22 ans se demande encore si, «plus tard», elle veut vraiment le devenir. Océane, qui sera sur le marché du travail l'année prochaine, assume la contradiction : «Je serai plutôt contente d'avoir mon diplôme, ça peut toujours servir et j'aurai passé cinq ans à apprendre énormément. Mais si je veux être ingénieure, c'est sous certaines conditions et pas dans n'importe quelle entreprise.»

On entend d'ici les râles patronaux sur l'impudence de la génération Z : si même les cadres commencent à se rebeller avant même d'être en poste, adieu marges, profits et dividendes… «Faire changer les choses», Océane ne s'en cache justement pas : «L'ingénieur est un élément clé d'un système productif qui crée des inégalités sociales, provoque une perte de sens et est difficilement compatible avec les enjeux écologiques auxquels on doit faire face aujourd'hui», assène-t-elle.

A son image, ils sont de plus en plus nombreux – «ingés» en formation et enseignants-chercheurs – à refuser de mettre leur science au service du capital mondialisé plus que d’un réel progrès planétaire. A Lyon, ces dissidents ont créé en 2017 leur mouvement, Ingénieur·e·s engagé·e·s, qui a depuis essaimé dans une dizaine d’autres bastions des cursus technologiques d’excellence (Insa, Supaéro et Enseeiht à Toulouse, IUT de Troyes, UTBM Belfort, UTC de Compiègne, CentraleSupélec, Sigma Clermont, Insa Strasbourg, Grenoble INP…).

Ingénieur·e·s engagé·e·s est depuis devenu une fédération de groupes locaux rattachés à chacun de ces établissements. Si elle représente encore une minorité au sein des grandes écoles, cette structure et son développement font écho au «Manifeste étudiant pour un réveil écologique» lancé en septembre 2018 et signé à ce jour par plus de 32000 jeunes, et à la «Déclaration d'urgence climatique» à laquelle appellent plusieurs institutions du monde universitaire, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Catalogne.

«Le métier d'ingénieur n'est pas neutre, souligne Océane. Je ne vais pas aller chez Total si je ne cautionne pas ses actions. C'est important pour nous de fonctionner en réseau, notamment pour s'échanger les offres d'emploi qui correspondent à ce qu'on souhaite faire.» Pour boucler sa cinquième année en science et génie des matériaux option polymère, la jeune femme va passer six mois chez Maobi, une entreprise lyonnaise spécialiste d'écoconception.

Après un bac scientifique, Océane, originaire de Valenciennes (Nord), a été admise à la prépa intégrée de l'Insa sur dossier. «J'étais ravie mais une fois en première année, j'ai un peu déchanté, les cours étaient très théoriques, sans aucune mention sur l'écoconception.» C'est l'autre cheval de bataille d'Ingénieur·e·s engagé·e·s : réinventer les formations, revenir aux valeurs portées par le créateur de l'Insa, Gaston Berger, également inventeur du terme «prospective», soit «l'étude des futurs possibles».

Car c'est bien en «prospectant» qu'Océane a décidé de prendre parti: «En deuxième année, j'ai commencé à me politiser parce que la présidentielle n'était pas loin et qu'il fallait se demander pour qui j'allais voter pour la première fois de ma vie», raconte-t-elle. L'année suivante, elle découvre Ingénieur·e·s engagé·e·s, qui vient de se créer à Lyon, et en est aujourd'hui l'une des trois responsables pilotant le «collège» de l'association, qui n'a pas de bureau : «On a bataillé pour le faire accepter par la préfecture, mais on y est arrivé. Nous n'avons pas de droit que les autres n'ont pas, on voulait que chacun se sente aussi impliqué et libre de participer que les membres d'un potentiel bureau.»

Pour aguerrir cette indocilité aux modes de gouvernance classiques, les Ingénieur·e·s engagé·e·s lyonnais s'appuient sur les outils de l'éducation populaire et de l'intelligence collective. Ça donne des débats «mouvants» (tout le monde debout, de chaque côté d'une ligne que l'on peut franchir), des «arpentages» (on découpe un livre pour le lire à plusieurs plus vite) ou des ateliers où on secoue les mains (ou pas – si on n'est pas d'accord). Cette année, c'est au tour d'Ingénieur·e·s engagé·e·s de porter la semaine des alternatives durables, du 13 au 20 février, sur le campus de la Doua, à Lyon. Océane : «Plus nous anticipons les conséquences de notre système tôt, plus il sera possible de mettre en place des solutions.» Et autant que les pros de la tech soient en première ligne.