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Libération
Reportage

Pour casser les chaînes de contamination, «c'est une course contre la montre»

Ouverte depuis mercredi, la plateforme de «contact tracing» de l'Assurance maladie en Seine-Saint-Denis s'est équipée pour remonter 130 chaînes de transmission dès vendredi.
La plateforme téléphonique Covid de la CPAM de Bobigny, mercredi 13 mai. (Cyril ZANNETTACCI/Photo Cyril Zannettacci. VU pour Libération)
publié le 13 mai 2020 à 21h02
(mis à jour le 14 mai 2020 à 10h19)

Un bâtiment claquemuré en trompe-l'œil. Derrière les grilles fermées de la Caisse d'assurance maladie (Cnam) de Seine-Saint-Denis, l'opération de traçage des contaminés du Covid, lancée par l'organisme sur tout le territoire pour tenter d'en finir avec la pandémie, se met en branle dans une ambiance de fin du monde. Coup d'œil circulaire sur les grappes d'enquêteurs masqués, encore en formation ou déjà plongés dans leurs machines, trop éparses pour remplir le hall immense. La directrice générale des lieux, Aurélie Combas-Richard, confirme : «Tout est bunkérisé ici. On a demandé aux 80 personnes qui travaillent sur le site de ne pas se promener dans les couloirs, de ne pas se croiser. On travaille au maximum dans des box individuels. C'est hypersafe mais question convivialité, c'est zéro.» Question santé publique en revanche, la mission est prioritaire : il s'agit d'identifier et de casser les chaînes de contamination dans un département où le virus continue de circuler activement.

Ce mercredi matin, les quelque 900 médecins libéraux du département ont commencé à faire remonter à la Cnam, via Ameli pro, les coordonnées de leurs patients testés positifs au Covid, ou présentant les signes cliniques de la maladie. Pour peu qu'ils y consentent… A charge pour les brigades de la Cnam de les recontacter par téléphone, leur expliquer la mission, les épauler, les inviter à se remettre en quarantaine mais aussi tenter d'identifier toutes les personnes que les malades ont côtoyées quarante-huit heures avant leurs premiers symptômes ou en leur absence, sept jours avant leur test. Le tout en un temps record : «C'est une course contre la montre, insiste Aurélie Combas-Richard. Chaque enquête commencée le matin doit être clôturée le soir si on veut casser les chaînes de contamination.»

«On n’est pas "un petit peu positif" avec le Covid»

Un timing serré qui réclame une parole efficace. «Il faut être neutre, persuasif rigoureux, pédagogue, insiste le docteur Philippe Laboulaye, responsable de la plateforme pour le 93. Savoir recadrer son interlocuteur, parfois.» Au célibataire trentenaire qui venait d'admettre avoir «été testé un petit peu positif» au Covid le 4 mai suite à une campagne de tests diligentée par la mairie de Paris, il répond sèchement : «Je vais essayer d'être un peu clair: on n'est pas "un petit peu positif" avec le Covid. Vous devez rester chez vous, ne sortir que pour des nécessités impérieuses, jusqu'à lundi de la semaine prochaine !»

Pour l'heure, la plateforme est en rodage. «Aujourd'hui on a eu 14 patients sources signalés et on a identifié 44 cas de potentielle contamination secondaire, précise le docteur Laboulaye. A chaque fois, il faut trouver les coordonnées des gens, et valider plusieurs fois l'identité et le consentement de la personne, respect du secret médical oblige. Depuis ce matin, on a essuyé aucun refus, seulement un peu de réticence parfois. Quand on leur dit qu'ils doivent se reconfiner quinze jours, ce n'est pas forcément une bonne nouvelle…»

«Lettre de mission de trois mois»

Mais nul ne doute que les difficultés sont encore à venir dans un département populaire où cohabitent une centaine de nationalités. «Plusieurs de nos enquêteurs sont bilingues, indique la directrice générale. On peut mener les entretiens en anglais, en espagnol, mais aussi en arabe, en créole, en tamoul, ou en peul…» Dès jeudi, l'équipe s'attend à devoir traiter 90 patients sources, 130 à partir de vendredi. «A raison de 20 cas secondaires par malade, vous voyez le tableau. Mais on est staffé pour ça, assure Aurélie Combas-Richard. Il y aura vingt enquêteurs de plus sur le site vendredi. Si la montée en charge est trop rapide, on en a 50 autres potentiellement mobilisables.» Combien de temps dès lors pour venir à bout du Covid en Seine-Saint-Denis ?  «On a une lettre de mission de trois mois» dit la directrice. La Cnam a choisi l'optimisme.