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RENCONTRE

«Si on ne change pas de modèle, cette souffrance n’aura eu aucun sens...»

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Dans le cadre des grands entretiens réalisés en podcast par Libération, Laurent Joffrin avait reçu en décembre 2019 l’ancien ministre de l’écologie. Nous l’avons recontacté fin mars pour compléter son propos à l’aune de la pandémie pour notre hors-série Demain la Terre.
(GIlles Bassignac)
publié le 22 juin 2020 à 10h47
(mis à jour le 23 juin 2020 à 10h59)
Votre sentiment sur la crise sanitaire que traversent le pays et le monde…

Ce sont des sentiments confus et mêlés. Il y a d’abord une immense tristesse devant toutes ces souffrances, toutes ces épreuves qui s’additionnent ; avec ce sentiment presque de culpabilité quand on est soi-même épargné… Il y a aussi un sentiment d’inquiétude au quotidien et d’inquiétude pour l’avenir. Parce que lorsque l’on est dans un scénario qui n’est pas défini dans son expansion, dans sa modélisation, on ne sait pas s’il y aura des répliques…

Donc, c’est un moment d’inquiétude totalement légitime et je crois que c’est le sentiment commun. Il y a aussi un sentiment de respect et d’admiration pour tous ceux qui ont maintenu l’intendance du quotidien, vaille que vaille, pendant toute cette période. Ceux qui ont assuré la permanence de la démocratie. Et la dignité de la plupart des Français et des Françaises est admirable même si on voit, çà et là, quelques contre-exemples. Mais majoritairement, c’est quand même un moment de solidarité et de discipline qu’il faut saluer. Et puis, évidemment, une admiration pour ceux qui s’exposent pour nous protéger. Voilà les sentiments pendant la crise…

A l’heure où nous parlons, quelles premières leçons tirer ?

Pour tous ceux, dont je fais partie, qui ont subi cette pause contrainte, cette introspection met en relief un certain nombre d’enseignements et d’évidences dont il faudra, enfin, tenir compte. Premier enseignement : la confrontation de notre vulnérabilité et de nos limites. Second point : il ne faut pas que cette crise occulte d’autres crises. Au contraire, elle doit les mettre en relief et l’on voit bien que nous sommes dans une crise qui est beaucoup plus profonde. Il s’agit bien d’une crise systémique.

Personne ne doit s'en enorgueillir ou se réjouir ou se vanter en disant «je l'avais vu venir…». Chacun, intimement, sentait bien qu'il y avait quelque chose qui nous échappait dans la mondialisation; que nous étions happés comme sur un fleuve en crue ; ce que j'ai appelé en d'autres temps le «syndrome Titanic». On voyait bien, malgré la bonne volonté des uns et des autres, que nous marchions sans trop savoir où nous allions, sans même savoir s'il y avait une issue au chemin que nous avions emprunté.

Donc, un grand moment de flottement, et je faisais partie évidemment de ceux qui craignaient que cela se termine mal. Parce que si on est plutôt bon dans le réactif, nous n'étions plus en capacité de faire du prospectif ; parce que, quelque part, le modèle néolibéral créait son propre mouvement. Nous étions en quelque sorte victimes du succès de notre propre intelligence que nous ne contrôlions plus. Donc, si ce «pas de côté forcé» pouvait nous faire réfléchir…