Rien n’est plus difficile que de décider, c’est-à-dire trancher dans l’éventail des options pour n’en promouvoir qu’une seule, en vouant à l’avortement toutes les autres, dont on ne saura jamais si, choisies, elles n’eussent pas pu se révéler également fastes et fécondes.
Mais rien n’est plus nécessaire que de décider, car faire coexister les choix possibles est le plus sûr moyen de procrastiner toute action, pour enfin l’anesthésier. La décision politique est la plus difficile et la plus nécessaire, car elle est prise par un seul (ou une seule institution déléguée, un seul «corps» constitué, conseil, assemblée, etc.) et impacte la vie du plus grand nombre en modifiant quelque règle du jeu social, qu’il s’agisse des modalités de rétribution, de tarifs, de taxes, de rapports à la justice, au travail, à l’administration, à la mobilité, etc.
La difficulté de la décision de politique publique peut être accrue par des facteurs extérieurs impromptus, par exemple l’urgence, requise par une situation d’émergence, des catastrophes naturelles, des épidémies, des accidents, des attentats, des conflits, des manifestations violentes, des grèves paralysantes… Dans ce cas, la phase délibérative qui la précède se trouve diminuée, ce qui fait augmenter dans la phase consécutive les risques d’apparitions de phénomènes qui n’ont pu être «pensés» ni prévus et qui, dès lors, peuvent dénaturer la mesure prise, la rendre inapplicable, ou avoir des effets «contre-producteurs», nuisibles, voire désastreux.
C’est pourquoi – bien que, selon Carl Schmitt, soit «souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle» (Théologie politique I) –, les «souverains» d’aujourd’hui n’aiment guère «décider à chaud». Mais ils n’apprécient pas davantage le besoin de devoir prendre des décisions dont l’effet sera trop «froid», à savoir un effet lointain dépassant non seulement l’«actualité», la politique en acte, mais aussi les générations.
Evaluation
Une décision publique, cœur de la politique, parcourt une séquence qui pourrait être décomposée de la sorte : émergence d’une situation perçue comme «problématique» et exigeant une intervention publique, insertion du problème dans l’agenda des «décideurs», consultations, recueil de l’information, vérification des données, élaborations des propositions, formulation des projets possibles, choix de l’un d’eux, évaluation des risques et des éventuels feed-back négatifs, prévision des résultats, décision d’implémentation ou de mise en œuvre. On laissera de côté tous les éléments qui concourent à cette concaténation, qui la facilitent (conseils, avis d’experts, collégialité, etc.) ou qui en rendent la fluidité plus malaisée (contraintes législatives, voire constitutionnelles, attentes inquiètes de l’opinion publique, «fuites» médiatiques, lobbying, pressions syndicales, situation de crise, etc.).
L’essentiel est de noter qu’en quelque domaine que ce soit, une décision est toujours prise de façon à ce qu’elle provoque des effets tels qu’ils ne puissent pas annihiler la possibilité ou le pouvoir d’en prendre une nouvelle. Autrement dit, si la décision est pouvoir et si le pouvoir est décision, aucun homme politique ne prendra une décision qui scie la branche de son pouvoir – sauf dans le cas où la volonté est de quitter le métier de politique.
Autorité
Aussi très rares sont les décisions dont on sait d’avance que, une fois prises, elles n’auront pas de conséquences (possiblement positives) sur ceux ou celles qui par leur vote ou délégation ont confié au décideur son pouvoir, notamment le pouvoir ou l’opportunité de se soumettre aux suffrages afin d’obtenir que ce pouvoir soit renouvelé et prolongé.
En d’autres termes, la public policy, à savoir le produit des activités décisionnelles d’une autorité détentrice du pouvoir et institutionnellement légitime, n’est jamais «campée en l’air», ou seulement soutenue par des préceptes ou des idéaux moraux (souci d’étendre les libertés, de diminuer les inégalités, de partager plus équitablement les biens et les opportunités, etc.), mais est inextricablement tissée à ce qu’Outre-Manche on nomme politics, à savoir la lutte pour le pouvoir, la compétition entre partis politiques, groupes d’intérêts, influenceurs, groupes de pression, catégories sociales, individus en course pour recouvrir des charges publiques…
Or l’implémentation de la public policy, faite de…