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Rencontre

«L’océan, un bien commun de l’humanité»

Les conférences de la Cité des sciences et de l’industriedossier
Catherine Chabaud La navigatrice, eurodéputée Modem, veut agir pour une «économie bleue durable».
Série : "les baigneuses". Marseille. (Hélène David)
publié le 25 septembre 2020 à 17h16
(mis à jour le 11 mars 2022 à 13h12)
Libération, partenaire du cycle de conférences «les Nourritures» (février – juin 2022) organisé par la Cité des sciences et de l’industrie, proposera régulièrement articles, interviews et tribunes sur les sujets abordés. Thématique des rencontres du vendredi 11 mars et du samedi 12 mars (auxquelles participera Catherine Chabaud): «régions polaires, quels enjeux pour l’Europe».
Article initialement publié le 25 septembre 2020

Elle a été la première femme à faire le tour du monde à la voile, en solitaire et sans escale. Catherine Chabaud a été navigatrice, journaliste, autrice, documentariste, elle a participé à la fabrication de bateaux écoconçus, avant de devenir experte de la mer. Une succession de métiers avec un objectif : celui de la préservation de l’océan. L’an passé, à 56 ans, elle a été élue députée européenne sur la liste de la majorité et s’est donné un mandat pour faire entendre la voix de l’océan.

Trop longtemps absente des débats, la mer apparaît peu à peu dans les négociations climatiques, politiques. C’est une nouveauté…

Selon moi, le moment charnière a été le Grenelle de la mer en 2010. A cette occasion, le monde économique, les ONG, les institutions, les scientifiques, les syndicats ont partagé le constat que la mer était l’avenir de la terre. En conséquence, il fallait mieux la connaître, la protéger, promouvoir une économie maritime plus durable et une gouvernance plus efficace. Ce sont les quatre axes de travail.

Si j’ai accepté ce mandat, c’est parce que selon moi, il y a urgence et le bon échelon est au niveau de l’UE. Ainsi j’essaye de faire monter le niveau de la mer au Parlement européen. Je suis présente dans trois commissions (développement, environnement et pêche) et j’amende tous les textes dans lesquels les sujets liés à la mer sont absents ou à peine mentionnés. Quand on parle biodiversité, je veille à ce que les écosystèmes marins et côtiers soient évoqués, que l’on parle des énergies de la mer quand on aborde les énergies renouvelables ou que l’on n’oublie pas les populations côtières ou insulaires dans les débats sur l’impact des changements climatiques. J’ai dernièrement beaucoup travaillé au texte portant sur la décarbonation dans le transport maritime, qui vient d’être voté au Parlement.

Où en sommes-nous sur le front de la recherche et de la préservation ?

Nous avons coutume de dire que l’on a exploré seulement 5 % des fonds marins et il est vrai que l’on aurait dû se préoccuper de la mer bien avant. Mais plusieurs initiatives se mettent en place. L’Ocean Decade s’ouvre à l’Unesco (la «décennie du développement durable pour les sciences de l’océan»), ou encore Healthy Oceans, (un groupe d’experts auprès de la Commission européenne). Au sujet de la préservation, les aires marines protégées doivent être développées, notamment en haute mer et en Antarctique, malgré les résistances de la Chine et de la Russie. Pour cela, les moyens sont essentiels. En Europe, c’est la création d’un «fonds océan» (Ocean Fund) pour financer la décarbonation du transport maritime et la gestion des aires. En parallèle, nous devons veiller à réduire les pollutions, lutter contre la surpêche et limiter l’impact du réchauffement climatique. L’océan produit la moitié de l’oxygène que l’on respire et absorbe un quart des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi dans la loi climat sur laquelle nous travaillons au niveau européen, il ne faut pas oublier la restauration des puits de carbone marin et des écosystèmes marins et côtiers: mangroves, marais salés, herbiers…

Quels sont les principaux défis économiques et politiques?

Nous devons mettre en place une économie bleue durable, pousser le curseur de la durabilité toujours plus loin. Réfléchir à comment les activités liées à la mer peuvent réduire leurs impacts et protéger la biodiversité marine. Par exemple, je suis favorable aux éoliennes marines, mais écoconçues, avec des solutions de compensation. Enfin, vis-à-vis de la gouvernance, je me félicite de l’arrivée d’un ministre de la Mer et d’Annick Girardin. Pourtant, il est nécessaire d’aller plus loin et d’aborder les sujets «mer» de façon croisée. L’Europe doit prendre conscience de son espace maritime et engager une vraie stratégie. Au niveau international, les négociations sur la haute mer sont primordiales. Il est urgent de donner un statut à la colonne d’eau, car de nombreuses ressources, génétiques, minérales, utiles pour la fabrication de médicaments, de cosmétiques sont en train d’être découvertes, et il va y avoir une ruée dessus !

Vos deux interventions durant le festival porteront sur la reconnaissance de la mer comme «bien commun de l’humanité»…

Depuis deux ans, nous nous sommes fixé cet objectif avec d’autres experts de la mer, comme Françoise Gaill, directrice de recherche au CNRS ou Eudes Riblier, président de l’Institut français de la mer. Nous sommes tous responsables de l’océan, à titre individuel et collectif et c’est à nous tous de le préserver. Grâce à cet appel, relayé sur oceanascommon.org, nous espérons que l’océan soit reconnu bien commun de l’humanité, notamment au moment où les Nations unies discutent du statut et de la protection de la haute mer. Les tables rondes seront là pour expliquer cette notion et présenter des porteurs de solutions.