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Grand Bivouac: rencontre

Jacques Véron : «Il y aura un milliard de migrants»

Le Grand Bivouac, festival du film-documentaire et du livre d'Albertvilledossier
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Réalisatrices anthropologues, dessinateur fou de montagne, grand reporter ou géographe… Portraits de personnalités hors du commun à croiser lors du prochain Grand Bivouac d’Albertville. Aujourd’hui, Jacques Veron, directeur de recherche émérite à l’Ined.
Un homme pêche, le 7 octobre, dans les eaux du fleuve Paraguay, à son plus bas niveau depuis cinquante ans, ce qui fragilise les populations, dépendantes économiquement du fleuve pour la pêche et la consommation d’eau potable. (Jorge Saenz/Photo Jorge Saenz. AP)
publié le 12 octobre 2020 à 11h55

Deux réalisatrices, également anthropologues, qui décident de suivre au long cours une cuisinière de rue chinoise ; un dessinateur grimpeur dont le loup et l’agneau sont des sujets de prédilection ; un grand reporter qui, après avoir couvert une multitude de guerres, décide de parler de la beauté du monde ; un démographe qui décortique la mobilité des populations après les catastrophes… Voici brièvement décrits quelques-uns des personnages hors du commun qui interviendront au Grand Bivouac d’Albertville, à partir de vendredi.

Son approche, il la présente ainsi : travailler sur les questions de développement et d'environnement à l'échelle mondiale et locale. Il s'agit pour lui de traiter de la «démographie des catastrophes». C'est-à-dire, quelles leçons en tirer. Comment la population a été affectée, qu'en ont-ils appris ? C'est une approche à la fois mondiale et locale pour «saisir les mécanismes» qui œuvrent.

«Il faudrait mettre l’accent sur des dimensions particulières de la population»

«J'ai toujours eu un intérêt pour ces questions d'environnement», explique Jacques Véron, directeur de recherche émérite à l'Institut national des études démographiques (Ined). Quelles relations existe-t-il entre la population et l'environnement ? C'est souvent un sujet délaissé par les démographes. «On disait que la croissance économique mondiale accroissait la pression sur la planète, il y a des sécheresses, les gens vont donc se déplacer. Mais on ne prend pas la peine de préciser ce qu'est l'environnement, on pensait nature et monde rural, catastrophes naturelles et environnement urbain… Il faudrait mettre l'accent sur des dimensions particulières de la population. Il y a un décalage très fort entre la question démographique et les démographes qui ne voulaient pas se prononcer car ils ne possédaient pas les outils suffisants.»

Les choses ont désormais changé. Les géographes ont essayé d'analyser la pollution à l'échelle locale. Ils se sont demandé si elle pouvait être provoquée par la densité de population ou pas. Cela a, selon lui, «contribué à légitimer ce champ de recherche au sein des démographes. Quand on fait le bilan des travaux, il y a beaucoup de cas contradictoires en Asie. Ce n'est pas comme en Afrique où la dimension locale est très importante. Bref, on a du mal à généraliser».

Selon le chercheur, il faut essayer de séparer la partie scientifique de la partie politique ou idéologique. «On touche à des questions de société, rien n'est neutre. Il y a un effet mécanique des migrations climatiques. Deux approches sont possibles. S'il y a désertification, les gens vont partir. Le fait de dire que la réponse migratoire est une réponse naturelle au changement climatique n'est pas une évidence. On pense ainsi comme si ce n'était rien du tout finalement de s'en aller. Les gens n'ont pas forcément envie de partir. Parfois, ils vont tout faire pour rester.»

«La réponse simple par la mobilité à des catastrophes n’est pas neutre»

En Inde de l'Est, un cyclone très violent et meurtrier a eu lieu en 1999. Comme les gens sont habitués aux cyclones, ils ne se sont pas méfiés. Cela a été dramatique, ils en sont sortis traumatisés, mais cela ne les a pas conduits à partir. S'en est suivi un programme de construction d'abris. «Il y a des stratégies pour faire face à l'événement, la réponse simple par la mobilité à des catastrophes n'est pas neutre. On a un peu tendance à considérer que c'est une façon de gérer le changement climatique… Il y aura un milliard de migrants, ce n'est pas si simple et cela peut être douloureux pour les gens de partir.»

Fishing trawlers lie shattered against the banks of a river as people rebuild in Jagatsinghpur near Paradip in Orissa 08 November 1999. The area was devastated in a cylone late last month, and with fresh casualties being dicovered in the last few days, the death toll is nearing 10,000. AFP PHOTO (Photo by AFP)Des chalutiers de pêche gisent sur les rives d’une rivière près de Paradip, dans l’Orissa en Inde en novembre 1999. Le nombre de morts avoisine alors les 10 000. Photo AFP

«On regarde où les gens qui vont se déplacer ne sont pas forcément les bienvenus, poursuit-il. Dans la corne de l'Afrique, par exemple, quand ils sont allés au Kenya, ils n'étaient pas très bien accueillis. Il faut aussi réfléchir aux façons de permettre aux gens de ne pas s'en aller de chez eux s'ils le souhaitent. Construire des digues, faire varier l'habitat, c'est un moyen de faire face. Il y a aussi les relations familiales et la façon dont se joue l'entraide… Mon approche est d'essayer d'appréhender de manière théorique toutes les relations possibles, et d'analyser les dimensions vécues et psychologiques.»

Et encore…

En attendant

qui se tiendra du 12 au 18 octobre à Albertville (Savoie), et en ligne du 3 au 25, la rédaction de

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