C’est un matin clair de décembre au-dessus des toits de Paris. Derrière les rideaux de cretonne, le ciel est d’or et d’azur sur le quai de Valmy. Dans son fauteuil, le vieux a les paupières closes à côté de son bol de café, une tartine beurrée à peine entamée. On scrute ses longues mains diaphanes froissées comme du papier de soie. C’est aux mouvements minuscules de ses doigts sur le plaid déployé sur ses genoux que l’on sait s’il dort profondément ou s’il ferme seulement les yeux pour tromper l’ennui, éloigner les fâcheux. La tactique est bien rodée : pour signifier son roupillon du moment, le vieux s’affaisse sur son séant, incline la tête et cale sagement ses mains sur ses cuisses. Même le chat, qui s’y connaît en genre humain, a compris la manip ; tout à l’heure, il est allé se faire voir sur le gros radiateur de fonte où il mijote comme un gigot de sept heures, baigné de soleil sous la fenêtre.
C'est pas qu'il ne nous blaire plus, le vieux, mais depuis qu'il se sait dans la dernière ligne droite avant la grande Faucheuse, il a décrété qu'il ne s'emmerderait plus avec «les gens de droite, la famille, les curés et tout le reste». Mine de rien ça fait du monde, mais pour l'instant, on n'est pas (encore ?) concerné. Alors, on fait encore un bout de chemin ensemble.
Sacs de ciment. «Silence, on lutte encore», grogne l'ancien quand la radio en sourdine parle de «fin de vie», de «suicide assisté». Causez-lui Skenan [morphine, ndlr], PET