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Libération
Tu mitonnes !

Une nuit sur la ligne de crêpe

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Chaque semaine, passage en cuisine et réveil des papilles. Aujourd’hui, la spécialité de la Chandeleur.
Blanquet. Né en 1973. Dernier album paru «Rendez-vous moi en toi» (United Dead Artists).
publié le 29 janvier 2014 à 19h36

Il est inquiet le Grand, ce matin : sa gosse a découché. Elle a beau avoir largement l’âge de guincher le samedi soir, il s’y fait pas. Comme souvent chez lui, dans ce cas-là, c’est rideau fermé et mine en berne. Pourtant, il fait un temps magnifique sur la combe. Un beau paquet de neige qui t’en fout plein les mirettes sous le levant ; on se croirait sur les grands boulevards à Noël tellement ça scintille du flocon sous le grand plafond bleu glacé. Cette nuit, ça devait croûter sec dans le dévers : - 14 qu’il a encaissé le thermomètre sous la fermette. Alors, je te dis pas là-bas au fond du ravin, quand la bise s’engouffre entre les sapins et se met à couiner comme une vieille bique.

Le Grand, ça lui fout les foies, le mercure qui racle ainsi sous le plancher alors que sa descendance est partie chasser le dahu. Pensez donc, il imagine sa gosse surgelée dans une congère. Alors, il plonge son museau crispé dans son broc de café où on l'entend soupirer. Faut pas le chercher là, le fauve, il vous crucifierait sur la porte de grange à côté des chouettes et des corbeaux séchés si d'aventure vous lui susurriez que la chair de sa chair a l'âge de courir le guilledou. «Elle a dû dormir chez une conscrite» , que l'on risque. Là, il pulvérise sa biscotte dans sa pogne de lutteur et grogne : «J'ai déjà sonné tout le canton, elle est sur répondeur, elle est nulle part.» C'est pas qu'on soit pleutre, mais vaut mieux pas passer la deuxième dans ces cas-là. On va faire