Tous les matins, un peu avant 7 heures, elle entame notre rue, qu’est longue comme un jour sans pain. Qu’il neige, qu’il pleuve, qu’il bourrasque, elle a toujours le même coupe-vent noir boutonné jusqu’au col, un jean et une paire de tennis. Des Adidas, modèle Stan Smith, comme celles qu’on avait quand on jouait à la bataille navale avec nos boutons d’acné. C’est ses pompes qui nous intriguent le plus. Toujours d’une blancheur immaculée. Et puis, il y a son chignon aussi, savant entrelacs de cheveux de jais qu’elle a toujours impeccable au-dessus de son visage impavide. Pas un fil ne dépasse de sa silhouette. Pas une émotion, ni un sentiment ne viennent troubler son allure d’automate quand elle fouille chaque poubelle avant le passage en trombe des éboueurs. Sa main gauche gantée soulève fermement le couvercle, tandis que sa main droite entame une fouille minutieuse à l’aide d’un drôle d’outil ad hoc. Il s’agit d’un long morceau de fer à béton torsadé, recourbé à une extrémité. Elle furète sans hâte, ferrant de-ci de-là, un bout de nos vies ménagères jeté, machins de plastoc et de toc, fils électriques, claviers édentés et autres rogatons de notre chtouille hyperconsommatrice. Puis, avec l’application d’une panseuse, elle remet de l’ordre jusqu’au sommet de la poubelle avant de la refermer et de s’ébranler lourdement chargée.
Qui est-elle cette maraudeuse imperturbable qui jamais ne dit mot ? De quel bout du monde vient-elle ? De combien de vies a-t-elle refermé la page avant