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Libération
Reportage

La Grenouillère, marais montant

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Dans le Pas-de-Calais, entre rivière et herbes folles, le jeune chef Alexandre Gauthier se joue du territoire et de ses plantes, élaborant des plats qui sont autant de fables, avec les sensations pour toute morale.
A la Grenouillère, le 25 mai, Alexandre Gauthier (avec le panier) et le pâtissier Félix font la cueillette quotidienne des herbes, telle la menthe pourpre pour «la bulle des marais». (Photo Aimée Thirion)
publié le 13 juin 2014 à 18h06

Tiens, une question pour commencer : vous savez à quoi ça tient le souvenir d’un gueuleton ? On ne vous parle pas ici du menu dédicacé par le chef ou du Polaroid fané sur lequel vos vieux dégustent leurs quarante ans de mariage. Epargnez-nous aussi les figurines de pièces montées, les dragées de baptême, les flonflons des cartes à rallonge pour épater la promise. Non, là, on veut vous causer de ce qui échappe aux boîtes à souvenirs : l’impalpable, l’insécable, le fugace, une odeur, une couleur, un goût, une texture, tous ces sentiments, ces impressions, ces sensations qui disent la patte d’un chef, qui font la mémoire des papilles. On peut sortir repu d’un bon repas sans savoir, au fond et sur l’instant, ce qui, des mets ou des émotions, nous a le plus rassasié. C’est ce qu’on s’est dit l’autre jour en revenant de La Grenouillère, à Montreuil-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais (1).

On était venu pour découvrir la cuisine d’un jeune homme pressé, hanté par le temps qui passe, pisté par la critique comme un cerf de chasse à courre : Alexandre Gauthier, 35 ans, 1,8 million d’euros de chiffres d’affaires, 22 salariés, invité aux fourneaux du monde entier, des projets plein les gamelles, un menu en 11 services (120 euros) que l’on apprivoise dans une maison tout à la fois vénérable, chimérique et pastorale grâce à l’architecte Patrick Bouchain (à qui on doit aussi la Colline du Colombier de Michel Troisgros). Vingt-quatre heures plus tard, on est reparti tout à la fois rincé et exalté