Ce jour-là, un insecte a les honneurs de la cuisine du restaurant Kikunoi. Non, ce trois-étoiles de Kyoto n'a pas mis au menu le suzumushi, ce grillon qui chante les soirs d'automne, mais, dans une mise en scène raffinée, il suggère sa présence et la vigueur de son chant, suscite la fraîcheur des sous-bois, évoque le crépuscule de l'été en éclats acidulés, en notes fumées, en accents iodés. C'est dans une minuscule cage de fines brindilles abritant les bouchées qu'est délivré le message. Tout en symbole, sans ostentation. «Quand ils voient arriver cette entrée, les Japonais comprennent que nous sommes en automne, que cela renvoie à la nature et au rythme des saisons, fondamental au Japon», assure Yoshihiro Murata, le patron de Kikunoi, l'une des institutions culinaires de l'archipel.
Vingt-et-une générations de maîtres de thé
A 62 ans, cet ambassadeur de la cuisine nippone œuvre avec un appétit d'insatiable à la défense du washoku, cet ensemble de savoir-faire et de connaissances autour de la préparation et de la consommation des aliments au Japon. Natif de Kyoto et descendant de 21 générations de maîtres de thé, Murata est à l'origine du classement du washoku par l'Unesco l'année dernière. La récompense salue des années d'efforts pour «protéger la cuisine japonaise qui risque de disparaître si on ne fait rien», s'inquiète le chef de Kikunoi. Alors, en boulimique de recettes, de voyages, de shows, de rencontres et de paris, il creuse son sillon. Il gère une académie, deux autres restaurants