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Libération
Chronique «Tu mitonnes»

Le coup de la pane

Chaque jeudi, passage en cuisine et réveil des papilles. Aujourd’hui, huiles pour moteur et de friture pour ailes de poulet sans frontières.
publié le 18 juin 2015 à 9h06

Photo animée : Emmanuel Pierrot pour Libération

Je sais pas vous mais nous et les bagnoles, ça fait deux, même trois pendant qu’on y est. Autant, on saura culotter la fonte d’une cocotte ; graisser une poêle en tôle d’acier ; rafistoler notre antédiluvien moulin à poivre ; autant il ne faut rien espérer de mézigue question carburateur, courroie de distribution et plaquettes de frein. Tout ça, c’est du chinois en idéogrammes, du boson en boîte, de la racine carrée en bouteille. Ça nous cause pas la belle mécanique, la gironde carrosserie. Devant un V6, on est aussi évaporé que si on avait fumé un joint de culasse. Pire, ça nous fait braire les grosses cylindrées, les cabriolets à cadors. Offrez-nous une Testarossa et on vous l’échangera bien volontiers contre une rutilante Le Creuset. Proposez-nous un Paris-Lyon en grosse berline teutonne ou en Jag avec tableau de bord en ronce de noyer et on préférera toujours le dur tortillard au départ de Paris-Bercy.

Au volant, c’est pire que tout : on raterait un créneau en pleine Beauce ; on fait bramer la boîte à vitesses pire qu’un rut de cerfs en forêt de Fontainebleau. Entre notre droite et notre gauche, on est aussi perdu qu’au milieu du quinquennat de François Hollande. Alors forcément, quand notre tarare commence à toussoter sur l’autoroute, on est fort dépourvu et c’est pas le manuel roupillant dans le vide-poches qui va nous renseigner vu que c’est pour nous un baragouin imbitable. Seul face à l’adversité mécanique, on opte pour un rituel immuable, proche des pratiques chamaniques : soulever le capot en inspirant profondément et réciter un mantra rimant avec Igol et Motul (deux marques de lubrifiants mécaniques) et que la bienséance nous interdit d’écrire ici. Après seulement, on offre une copieuse rasade d’huile et de liquide de refroidissement à notre guimbarde, en se disant qu’à défaut de lui faire du bien, ça ne peut pas lui faire du mal.

On en est rendu là, l'autre jour, quand à la sortie du péage, la caisse se met à sérieusement décabanner, genre Parkinson du bloc-moteur. Sur le siège passager, le gluon, qui n'a jamais fricoté avec Majorette, Dinky Toys ou Norev est catégorique : «Faudrait peut-être s'arrêter», qu'il dit. Bien voyons mon prince, c'est toi qui vas pousser notre T-55, qu'on songe dans un premier temps. Mais après quelques tours de chenilles qui nous entraînent plus sûrement vers la ruine de Stalingrad qu'au Courtepaille de la porte de Pantin, il faut bien en convenir : il faut stopper présentement si on ne veut pas risquer une hémiplégie mécanique. Nous voilà donc, garé comme la crotte de Mirza, au bord de l'un de ces ronds-points de la France périphérique qui vous font obligatoirement tourner la tête vers la Foir'fouille ou la Pataterie.

Mécanique universelle

Pour l’heure, on tâte du cambouis avec le gluon avec la mine de ceux qui font semblant de s’y connaître. Et que je te gratte les bougies, que je farfouille au milieu des vis et des boulons, ça se voit tellement qu’on est aussi branque qu’une poule qu’a trouvé un couteau qu’on attire les bonnes âmes. En l’occurrence, un gazier venu de nulle part au milieu du périurbain mais qui est plus sûrement de Kaboul, du Nord irakien ou d’un autre ailleurs invivable. Il ne faut pas tout jeter sur la mécanique, elle a ça de bien, avec le foot, d’être universelle. Aussi à peine sur zone, notre sauveur plonge dans le moteur comme un cormoran sur une ablette, examinant et palpant minutieusement des organes qui nous sont inconnus. Il relève la tête et nous fait comprendre qu’il faut démarrer la souffrante. Son bras jaillit du capot pour nous ordonner d’accélérer puis de lever le pied.

Plusieurs fois, on répète la manœuvre tandis qu'il ausculte la bête sous le regard concentré du gluon, qui, nous rejoint d'un bond, soulagé : «Il dit que c'est pas grave, que c'est juste le turbo.» «Depuis quand tu causes l'Espéranto ?», qu'on réplique au môme. «Lui, il sait de quoi il parle quand il me montre le moteur», lâche le galapiat. Va donc répondre à ça. Surtout que les deux viennent de refermer le capot, triomphants. «Faut que tu roules doucement», ajoute le gluon.

A côté de lui, notre mécanicien sauveur change brusquement de mine à la vue d'une lointaine estafette de pandores. On se fait fissa le film à sa place : contrôle d'identité, pas de papier, rétention et tout le tintouin. «Monte», qu'on lui ordonne. Là au moins, il n'y a pas besoin d'Harrap's pour se faire comprendre. On met les bouts, loin des condés, bien à l'abri et soulagé après le virage du drive-in. «Il va manger avec nous», qu'il décrète le gluon. Ça nous plaît sa générosité au mioche. Surtout qu'il est déjà en train d'entreprendre son hôte sur sa collection de cartes de foot. «Qu'est-ce qu'on va manger ?», qu'il fait. «Une surprise» qu'on dit, accroché prudemment à notre volant comme à une soupière. «Super, s'exclame le gluon. Tu nous serviras un petit apéro pendant qu'on regardera le match».

Chicken wings sauce aigre-douce

Ben voyons et pourquoi pas des «chicken wings» faites maison à picorer entre deux buts ? On a déniché une recette dans la Cuisine de rue (1) pleine de vitalité d'Abdel Alaoui, un talentueux touche-à-tout du goût passé par les fourneaux les plus prestigieux. Pour sa recette, il faut 500 g de pilons de poulet et 500 g d'ailerons de poulet. Pour la sauce aigre-douce : 50 g de gingembre frais ; 1 piment rouge ; 200 g de miel ; 5 cl de jus de citron jaune ; 5 cl de sauce soja ; 1 cuillère à soupe de paprika et 200 g de ketchup. Pour la panure : 2 œufs ; 100 g de flocons d'avoine non sucrés ; 100 g de chapelure ; 100 g de farine ; de l'huile de friture, du sel et du poivre.

Faites cuire les morceaux de poulet à la vapeur pendant 20 minutes et réservez. Pendant ce temps, préparez la sauce aigre-douce. Pelez le gingembre et hachez-le. Equeutez le piment et hachez-le. Dans une casserole, faites cuire le miel avec le jus de citron, la sauce soja, le piment, le gingembre, le paprika et le ketchup pendant 30 minutes à feu doux. Laissez réduire la sauce, puis filtrez-la à l’aide d’un chinois-étamine. Laissez-la ensuite refroidir. Battez les œufs dans une assiette creuse. Trempez les morceaux de poulet dans les œufs et versez par-dessus les flocons d’avoine, la chapelure et la farine. Préparez un bain d’huile de friture, puis plongez le poulet pané dans l’huile chaude et laissez-le frire jusqu’à coloration. Servez avec la sauce aigre-douce.

(1) Ma cuisine de rue, d'Abdel Alaoui, ed. Hachette, 17,95 euros