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Libération

En Ecosse, des whiskies pour devenir immortel

publié le 6 novembre 2015 à 17h56

On le sait, pendant la Grande Guerre, la bataille de la Somme fut une terrifiante hécatombe pour l’infanterie écossaise et il serait élégant qu’une distillerie se décide à rendre hommage par un grand alcool à tous ces régiments qui s’y firent tailler en pièces. On le sait moins, mais l’effroyable boucherie bouleversa aussi le whisky écossais. Car, nombre des fantassins que la Grande Faucheuse emporta était des… faucheurs d’orge.

Le conflit terminé, il manqua des bras, dans les îles et les Hautes Terres, pour perpétuer cette culture ancestrale. Alors, on importa à tout-va de l’orge du monde entier et l’on fit semblant de croire que la matière première d’un whisky comptait moins que la distillation ou les tonneaux dans lesquels il allait vieillir. Or, dirait-on pour un vin que le raisin qui lui donne vie n’est pas si important ?

En fait, chaque orge produit un whisky différent et le distiller est loin de lui enlever toutes ses qualités intrinsèques. La particularité de Bruichladdich, petite distillerie de l'île mythique d'Islay (dont les produits sont distribués en France par la maison Dugas), qui en compte sept autres (Ardbeg, Bowmore, Bunnahabhain, Caol Ila, Kilchoman, Lagavulin, Laphroaig), c'est qu'elle mise avant tout sur l'orge. «Le plus important, c'est la matière première. De même que le raisin est roi pour le vin. Avant, il y avait quatorze fermes qui produisaient leur alcool dans le coin et l'orge de chacune donnait un goût différent», souligne Donald MacKenzie, le grand druide qui fait connaître en France cette religion nouvelle du whisky de terroir. On croirait l'entendre parler des climats de Bourgogne. Pour faire connaissance, on peut commencer par The Classic Laddie (58 euros) : puissant, élégant, floral et non tourbé. Non tourbé aussi le Islay Barley 2009 qui, à partir d'une orge fournie par quatre fermes, est une explosion d'arômes dans la lande.

Puis c’est la course à l’atome, dirigée par le grand prophète fou Jim McEwan, qui élabore aussi les whiskies Port Charlotte et Octomore. Tous sont des nouveaux mondes, de bruine, d’ozone, d’embruns, d’herbes folles, de bruyères, mais avec les Octomore 7,1 et 7,3, on entre dans celui de la fusion thermonucléaire. Ce qui irradie, c’est la tourbe, avec des indices PPM (mesurant les phénols responsables du goût fumé du whisky) qui affolent les compteurs Geiger. Ce qui en fait les whiskies les plus tourbés du monde. Quand ceux d’Islay tournent à 30 ou 45 PPM, Octomore 7,3 est tourbé à 169 PPM et le 7,1 à 208 PPM (il existe même un Octomore 6,3 à 258 PPM). Ils sont embouteillés respectivement à 63 % et 59,5 %. Imaginez les dégâts ! Mais si vous survivez à cette quête folle d’alcool et de tourbe, vous deviendrez immortel.