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Libération

Bain de bulles

Effervescence . Inspirée par Winston Churchill, une tournée raisonnable de belles bouteilles.
publié le 17 décembre 2015 à 18h06

Parmi les aphorismes percutants sur le champagne, il y a celui que Churchill adressa à ses officiers pendant la Première Guerre mondiale : «Remember gentlemen, it's not just France we are fighting for, it's champagne.» Au-delà du bon mot, il y avait la conviction chez lui que ce vin participait à la civilisation. Et, il l'opposait à l'islamisme radical, contre lequel, en grand visionnaire, il mettait déjà en garde : « Il s'est déjà répandu partout en Afrique centrale, attirant de courageux guerriers pour chaque avancée, et […] la civilisation de l'Europe moderne peut s'écrouler, comme s'est écroulée la civilisation de la Rome antique», écrivait-il dès 1899 dans The River War, après avoir survécu aux sabres des pachtounes afghans et aux cimeterres du Mahdi soudanais, le Al-Baghdadi de l'époque.

Cuvée Churchill. Du champagne, il disait aussi : «Lors de la victoire, je le mérite, mais dans l'adversité, j'en ai besoin.» En fait, cette dernière citation est plutôt de Pol Roger, propriétaire de la maison de champagne éponyme, qui était depuis 1908 la préférée de l'homme politique britannique et à laquelle il est toujours resté fidèle. En 1944, dans un Paris tout juste libéré, il avait d'ailleurs rencontré Odette Pol Roger et des liens étroits étaient nés entre les deux familles. Trente ans plus tard, à l'occasion du dixième anniversaire de sa mort (en janvier 1965), une première cuvée sir Winston Churchill voyait le jour - il y a eu dix millésimes commercialisés en trente ans. En ces temps de vents mauvais, il faudrait pouvoir être churchillien mais ce n'est pas facile. Au moins peut-on saluer la mémoire du «Vieux Lion», qui aimait tant la France qu'il y passa l'essentiel de sa vie après avoir été chassé du pouvoir, avec une coupe de Pol Roger.

Vieille maison créée en 1849, toujours entre les mains de la même famille, elle détient un beau vignoble d'une centaine d'hectares, plantés notamment sur les côteaux d'Epernay, en côte des Blancs. La dernière cuvée Sir Winston Churchill est sortie en juin 2014, au prix de 170 euros. Mais il y a en d'autres beaucoup plus abordables, dont un Pol Roger brut réserve, avec une belle élégance fuitée, des notes fines d'agrumes, qui est considéré par la Revue des vins de France, comme «le meilleur champagne brut de grande maison».

Sans doute Churchill aurait-il été peiné d'apprendre que le champagne n'est plus le vin effervescent préféré en Grande-Bretagne, puisque les proseccos italiens l'ont dépassé en valeur. L'heure est d'ailleurs à la confusion : dans un marché en pleine expansion - la consommation mondiale des effervescents a augmenté de 30 % en dix ans -, les effervescents italiens, espagnols, argentins, californiens percent partout et sont désormais en concurrence avec les entrées de gamme des champagnes. D'où les efforts de Nicolas Feuillatte, la plus grande union de producteurs de champagne (avec 84 coopératives représentant 4 500 vignerons et plus de 10 millions de bouteilles produites) pour fournir des vins de qualité à des prix raisonnables. Mission difficile, quand on sait que «le raisin de champagne est le plus cher du monde». «Le champagne, ce n'est pas qu'un effervescent. Mais, si on ne bouge pas, on sera relégué en segment haut de gamme et ce serait la fin de deux siècles de viticulture. Il nous faut trouver des points de différenciation», souligne Julie Campos, la directrice générale de l'entreprise. D'où une offre très variée : le grand cru pinot noir 2006 (environ 40 euros) est à la fois onctueux et charnu. Le brut millesimé 2006 (32 euros) a une belle profondeur et des arômes d'agrumes et de citron. Cuvée prestige, le Palmes d'or (autour de 90 euros) est exotique et tout en équilibre : 50 % de pinot noir, qui lui donne sa structure, et 50 % de chardonnay, qui lui apporte sa minéralité et sa tension. Il a passé au minimum huit ans en cave afin d'arrondir et affirmer ses arômes.

Effets «année». Au registre des nouveautés, Lallier propose, avec la cuvée R.012 brut (35 euros), une vision particulière du champagne. «R» est l'initiale de récolte. Suit un numéro à trois chiffres indiquant une année de récolte majoritaire dans la composition de la cuvée. Cela correspond au parti pris de Francis Tribaut, propriétaire et maître de chais de cette maison de taille moyenne (600 000 bouteilles par an), de ne pas trop utiliser les vins de réserve. Avec cette série, il cherche à révéler les effets «année» et propose un voyage à travers les millésimes. 81 % de la cuvée est ainsi élaborée avec des vins de l'année 2012. Les autres points marquants sont l'utilisation exclusive de pinot noir et chardonnay, ainsi que le recours parcimonieux à la liqueur de dosage (seulement 8 g/l). Cela donne un vin crémeux, à la belle effervescence. A signaler aussi un beau blanc de blancs, fin, avec des notes de citronnelle, dans une belle bouteille transparente, qui est un excellent rapport qualité-prix (36 euros).

Belle bouteille aussi, celle de la nouvelle cuvée, un brut millésimé 2007 (48 euros) d’Henri Abelé, l’une des plus anciennes maisons de Champagne (1757), habillée aux motifs joyeux d’une des étoffes les plus célèbres de l’histoire des arts décoratifs, la toile de Jouy. L’élégance se retrouve dans le vin avec des saveurs de brioche, de pain d’épices, avec un dosage modéré, qui en font le compagnon idéal d’un petit-déjeuner, peut-être le meilleur moment pour déguster un champagne. Ce n’est sans doute pas Churchill qui dirait le contraire.