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Libération

J’irai revoir mon pommeau de Normandie

publié le 25 décembre 2015 à 17h21

Tous les ans, c’est la même rengaine, la même complainte : qu’est-ce qu’on va s’envoyer dans le gosier avec le foie gras ? Je sais, vous allez dire, c’est des soucis de vieux schnock soiffard, vous aurez bien raison. Sauf que les accords entre la bibine et le manger, c’est un peu comme les vieux couples, faut de la fantaisie, du changement, si on veut éviter de bovariser à table pour Noël et le nouvel an. Déjà que c’est pas Broadway de se taper tante Olga, fardée comme une Simca 1 000 et tonton Marcel qui gobe les huîtres comme les œufs de ses coucous des Flandres, il faut une bonne quille pour se déglacer l’humeur avant d’attaquer les cotillons. Alors, après avoir fait chauffer la CB sur le Sauternes et quelques autres vins liquoreux, cette année, on a décidé de taper dans le pommeau pour lustrer le foie gras et la Saint-Jacques.

C'est joli comme nom pommeau, ça fait penser à ces ornements de cannes pour vieux marquis poudrés qu'on se représentait dans nos«Lagarde et Michard» et autres bouquins d'histoire. Sauf que là, c'est de la pomme dans tous ses états qu'on cause. Le pommeau est le mariage du jus de pomme à cidre et du calvados, pour le meilleur des flaveurs, dans les proportions de trois-quarts de moût pour un quart d'eau-de-vie. C'est l'ajout de la gnôle qui permet de stopper la fermentation des moûts. Après cette opération appelée mutage, le pommeau va vieillir et développer tous ses arômes en fûts de chêne pendant quatorze mois minimum pour le pommeau de Normandie et de Bretagne, vingt et un mois pour le pommeau du Maine mais vous pouvez l'oublier beaucoup plus longtemps avant de savourer ses parfums de pomme cuite, de fruits secs, de pruneaux, d'amandes, de miel…

Celui qui en parle le mieux du pommeau, c’est Léon Desfrièches, 87 ans et autant de distillations, patriarche du Père Jules (1), une belle maison sise au cœur de l’appellation d’origine contrôlée (AOC) calvados-pays-d’auge.

Il s'est battu comme un Normand pour la promotion du pommeau. Car elle revient de loin cette mistelle (le nom scientifique du moût additionné d'alcool) où dominent en Normandie pommes amères et douces-amères. Si il y a un siècle, la fabrication du pommeau était courante dans les fermes, un décret de 1935 interdit la commercialisation des apéritifs à base de cidre. Après la Seconde Guerre mondiale, Léon Desfrièches fut l'un des «premiers partants pour développer la filière du pommeau. On s'est battus au départ contre les services fiscaux car on n'avait pas le droit de le vendre. Je ne comptais pas mes heures». Il fait tourner son verre où luit la belle robe acajou du pommeau : «Quand je rentre dans une cave, je sais si je peux acheter ou pas. Grâce à mon odorat, c'est un don du seigneur. Un pommeau, s'il est bien né, on peut le garder trente ans.»

(1) Le Père Jules, route de Dives, 14 100 Saint-Désir.

Rens.: 02 31 61 14 57.