«Il vaut mieux l'avoir en photo qu'à sa table», dit-on des gourmands, des pique-assiette, des voraces de tout poil qui ne laissent pas une miette dans le plat pour le frichti du lendemain. Cette expression vient naturellement à propos des clichés culinaires de Martin Parr. Le recueil de ses photographies alimentaires s'intitule d'ailleurs Des goûts et joue grassement sur la répulsion inspirée par la junk food. Sous le flash incisif du photographe britannique, donuts passés à la brillantine rose, gâteaux en gelée, meringues farcies de colorants, figurines en pâte à sucre fluo, churros graisseux, sucettes rouge citrouille rivalisent pour obtenir la première place sur le podium de la chère la plus dégueulasse. Il y a pourtant, devant chaque image, un vrai plaisir visuel pour celui qui adhère à l'esthétique pop. Gélatines visqueuses, chantilly à volutes, huiles dégoulinantes, ketchup luisant humectent le regard pour mieux nous faire avaler ces milliers de calories. Ces photographies ne sont pas nouvelles, on les a d'ailleurs tous collectionnées en magnets et cartes postales. Elles sont des clins d'œil à l'enfance : sandwichs, glaces, saucisses, frites évoquent ce moment culte et délicieux du film l'Aile ou la cuisse, où la pâte épaisse et lisse de l'usine Tricatel se déverse sur une carcasse de poulet pour finir aspergée par un pistolet de peinture. C'est sans doute depuis cette scène mémorable que la gélatine dans la rétine est devenue un plaisir visuel.
Une découverte néanmoins dans ce livre, qui ressasse une fois de plus les clichés de Martin Parr : de grosses mouches, des guêpes et des scorpions font leur apparition. Attirés eux aussi par le sucre et le gras, ils menacent de se faire péter la panse. On ne nous dit pas s’ils ont été victimes eux aussi d’une indigestion visuelle.