Sacrée bourrache (Borago officinalis), tous les jardiniers vous le diront, il suffit d'une poignée de graines pour qu'elle pousse drue et abondante, envahissant plates-bandes et allées, s'évadant dans les chemins creux et sur le bord des routes. A Paris, vous pouvez la croiser dans les Jardins passagers de la Villette (1), où elle fait le bonheur des abeilles urbaines qui raffolent de ses fleurs en forme d'étoiles bleues. Il faut dire que cette plante annuelle, qui se ressème facilement toute seule, est sacrément mellifère, c'est-à-dire qu'elle produit un abondant nectar pour la production du miel, mais également du pollen, que les bourdons récoltent par une méthode bien à eux, dite «vibration» : aussi malin qu'un singe, l'insecte s'agrippe à la fleur qu'il fait vibrer avec ses muscles de vol, libérant ainsi les grains de pollen.
Elle vient de loin, la bourrache, si l'on en croit Victor Renaud dans les Secrets de mon jardin potager (éd. du Chêne) : probablement de Sibérie, de Syrie, elle aurait été introduite au Moyen Age dans le sud de l'Espagne par les Arabes. On raconte même qu'en arabe, son nom abu rach signifie «le père de la sueur», une allusion évidente à ses propriétés sudorifiques. A cette époque, elle figure en bonne place dans le jardin de simples où on la cultive pour ses vertus médicinales. Figurez-vous qu'elle était censée chasser la mélancolie, comme le disaient deux vers de l'Ecole de médecine de Salerne, en Italie : «La bourrache peut dire, et c'est la vérité : / je soulage le cœur, j'enfante la gaieté.» Alors ça ne mange pas de «pain des abeilles» (c'est l'un de ses surnoms) d'en avoir un pot sur le rebord de votre fenêtre pour éloigner les jours gris. Ses fleurs rappelant le goût de l'huître et ses feuilles couvertes de poils évoquant celui du concombre, la bourrache est affublée d'une foule de synonymes : langue de bœuf, langue d'oie, bourse à berger, herbe à concombre. Mais on vous déconseille «d'aller à la bourrache», puisqu'il s'agit de passer en cour d'assises.
En cuisine, la bourrache est bonne fille à tout faire pour les plaisirs simples comme pour les plats les plus raffinés. Ses jeunes feuilles du printemps se consomment crues et finement hachées pour parfumer salades, crudités, elles peuvent aussi accompagner des poissons. Les feuilles plus âgées peuvent être préparées en beignet, en soupe, en omelette, accompagner des ragoûts. Le bouillon de feuilles teinte en vert les conserves de légumes de couleur fade, expliquent Annie-Jeanne et Bernard Bertrand dans les Grands Classiques de la cuisine sauvage au jardin (éd. de Terran) où ils proposent une recette de «gougère verte de bourrache». Il y a aussi mille façons d'apprêter ses fleurs, qui sont du plus bel effet dans l'assiette. «Juste avec un peu de beurre, du sel du poivre, les fleurs de bourrache sont excellentes pour accompagner des légumes à la croque au sel tels que le céleri, les radis, les carottes ou le fenouil», raconte Thierry Thorens dans le Goût des fleurs (Actes Sud). Le chef du restaurant la Chamade à Morzine (Haute-Savoie) les incorpore également dans un tartare de bœuf ou mélangées avec du poisson cru. Il prépare aussi une «fricassée d'escargots à la bourrache et aux pignons».
Voici une recette d'omelette à la bourrache tirée du très beau et bon livre d'Andy et David Loftus, Istanbul, la cuisine turque en 100 recettes (Hachette cuisine). Pour deux personnes, il vous faut : une petite poignée de bourrache, lavée (avec les fleurs) ; 4 œufs ; une demi-cuillère à soupe d'huile d'olive vierge extra ; sel et poivre noir du moulin. Mettez dans une casserole les tiges et les feuilles de bourrache (réservez les fleurs) et ajoutez une pincée de sel. Recouvrez d'eau et portez à ébullition. Baissez le feu, couvrez et laissez frémir quinze à vingt minutes, jusqu'à ce que la bourrache soit tendre. Egouttez soigneusement dans une passoire. Battez les œufs avec un peu de sel et de poivre noir. Faites chauffer l'huile d'olive à feu vif dans une poêle. Ajoutez les œufs battus, en mélangeant à l'aide d'une fourchette pendant quelques minutes pour les ramener vers le milieu de la poêle dès qu'ils commencent à coaguler. Quand l'omelette est presque cuite, ajoutez la bourrache et prolongez la cuisson de deux à trois minutes. Retirez la poêle du feu et parsemez l'omelette de fleurs de bourrache. Servez sans attendre. Vous pouvez aussi déguster en salade la bourrache ainsi cuite à l'eau en l'assaisonnant de sel, de poivre, d'un filet d'huile d'olive, de vinaigre de vin rouge ou de jus de citron.
(1) 211, avenue Jean-Jaurès, 75 019 Paris.
Lundi : la capucine