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Libération
Critique

«Terre de poivres», au four et aux moulins

publié le 9 décembre 2016 à 18h36

Longtemps, on a chéri comme un incunable Poivres, de Gérard Vives (éditions du Rouergue, 2010) parce qu'il était dans notre cuisine l'unique ouvrage dédié à celui qu'on a baptisé «le roi des épices». Et voilà que débarque Terres de poivres, un livre beau comme notre vieux moulin qui a fait toutes les guerres et sublime le poivre de Sarawak en une bruine musquée et boisée sur l'œuf au plat.

A vrai dire, on n'est pas tout à fait en terre inconnue en feuilletant cette somme consacrée aux «baies, graines et follicules du monde», puisque son coauteur est Erwann de Kerros.

A la fin de l'hiver dernier (Libération du 11 mars), on était allé à la rencontre du fondateur de la marque Terre exotique, explorateur et passeur d'épices, fondu des graines lisses et douces du poivre blanc de Penja, au Cameroun. C'est au cœur de l'Afrique que Erwann de Kerros a fait l'apprentissage de cette liane qu'est le Piper nigrum, la cultivant pendant quatre ans dans une plantation du bout du monde. De retour en France, il se fait l'apôtre du poivre de Penja avant de repartir vers d'autres horizons comme l'île Maurice d'où il rapporte un masala doux et pimenté, le Népal où il va à la rencontre des paysans récoltant les baies de Timur, l'Ethiopie où il explore l'extrême variété d'épices endémiques comme la kororima et le timiz.

Terre de poivres est le récit de cette odyssée savoureuse et singulière à l'ère de la cuisine moléculaire et des arômes artificiels. Les autodidactes des fourneaux comme les pointures de la grande famille des épices s'y perdront avec délice et curiosité, tant l'horizon des flaveurs est vaste entre le poivre cubèbe (Indonésie), la baie de Sansho (Japon, Chine du Nord, Corée), le poivre de la Likouala (Congo) et celui de Belém (Brésil). A la manière d'un vin, chaque poivre est décrit à l'œil, au nez et en bouche, et des accords sont proposés en cuisine. Avec des arômes fruité, floral, balsamique, le poivre de Nam Bô noir, originaire du Vietnam, s'accordera avec un bar de ligne rôti arrosé d'un jus de viande ou un gâteau croquant au chocolat amer. L'énigmatique malam, déniché sur le marché de Loum au Cameroun, accompagnera une joue de bœuf braisée au chinon et une poêlée de cerises avec un jus réduit au porto. Deux chefs, Olivier Arlot et Didier Edon, proposent également une trentaine de recettes, de l'entrée au dessert, prometteuses pour des repas de fêtes de fin d'année. Et en digestif, on pourra savourer cette saillie d'Alphonse Allais : «Le sel de l'existence est essentiellement dans le poivre qu'on y met.»