Des étoiles et un trou noir à la cérémonie 2019 du guide Michelin : le chapeau paysan de Marc Veyrat. Récompensé d'une troisième étoile l'an passé, la distinction suprême de la haute cuisine, le chef et berger de 68 ans, imposante figure du domaine de Manigod (Haute-Savoie), a été rétrogradé à deux astres lors de la cérémonie du palmarès 2019, lundi, à Paris. C'est la chute la plus rapide de l'histoire de la gastronomie. Et une affaire de business ou de pouvoir ? «Je ne comprends pas, explique-t-il, très déçu, à Libération. Est-ce parce que j'ai refusé d'endosser la veste du Michelin en public l'an passé ? Un confrère m'avait prévenu : "Tu vas le payer très cher." Et, voilà, c'est arrivé…»
On passe du Michelin à la Fashion Week : chaque lauréat est tenu d'arborer pour les séances photos une veste blanche de cuisinier avec les sponsors du guide. A savoir : San Pellegrino (groupe Nestlé), Metro (grossiste de la bouffe) et Président (filiale de Lactalis). Et, donc, le chaud bouillant Veyrat, sorte de Depardieu du faitout, fut le seul récompensé à refuser ce rôle d'homme-sandwich. Gwendal Poullennec, le directeur international des guides Michelin, conteste ces soupçons : «Nous ne tenons absolument pas compte de ce genre de facteurs. Seule compte la qualité de l'assiette sur la base des expériences vécues par nos inspecteurs.» Du reste, Veyrat n'est pas le seul rétrogradé : la maison Haeberlin, à Illhaeusern (Haut-Rhin), créatrice de la truffe Souvaroff (que Paul Bocuse piquera pour sa célèbre soupe VGE), au sommet des classements depuis 1952, retombe à deux étoiles. Tout comme Pascal Barbot (L'Astrance, à Paris). Mais cette bruyante destitution raconte aussi la toute-puissance de Michelin dans le monde des restos.
La perte d’une étoile peut cependant réduire au jus le chiffre d’affaires. Veyrat, naguère trois étoiles, avait annoncé, après les avoir déjà perdues, qu’il se foutait de les reconquérir, avant de changer d’avis, menaçant de faire un malheur si on ne le réintégrait pas. Beaucoup d’observateurs estiment que le Michelin a cédé, en 2018, à ses coups de pression. Sa relégation, sous l’impulsion du nouveau directeur des guides, serait une façon de dire : alors, c’est qui le chef ?