Aguichante plus qu'alléchante, la food photography. C'est un art majeur, à part entière, le vent en poupe avec l'embellie des réseaux sociaux. Rien que sur Instagram, 346 millions de vignettes sont taguées #food, sans compter les mots-clés de la même famille. A Berlin, l'exposition «Food for the Eyes» retrace l'évolution du genre et ses significations. Politiques, religieuses, commerciales, artistiques, symboliques, nationalistes, selon l'inventaire de Susan Bright, auteure du livre Feast for the Eyes (un régal pour les yeux) (1) qui a inspiré cette grande rétrospective berlinoise (2).
Le genre a fait florès depuis les chromolithographies du Livre de cuisine du Français Jules Gouffé, en 1869. La food photography finit quasiment par remplacer la nourriture elle-même, comme pendant la Seconde Guerre mondiale aux Etats-Unis, où les pages des magazines féminins offrent de formidables échappatoires aux rationnements civils. Les choux à la crème et gratins contrastent avec les privations. Les préparations sont figées par la laque à cheveux. Magnifiques mais immangeables. Ces astuces photographiques sont devenues mythiques : bulles de savon pour figurer un dessert en mousse, sucre glace pour une crème glacée, plastique en guise de glaçons.
Ces photos d’abondance ne s’arrêtent pas avec la guerre. La cocotte-minute et les robots ménagers sont vendus avec des livres de recettes. La publicité se développe aussi, comme celle pour la préparation culinaire Apple Pyequick (General Mills) dont la photographie de Victor Koeppler est d’une moderne simplicité : une pomme auréolée d’une couronne de pâte croustillante évoque la facilité d’utilisation du produit.
C'est dans ce contexte que le photographe d'origine tchèque Nickolas Muray apporte une nouvelle esthétique et des méthodes de travail qui prévalent toujours aujourd'hui. Ses dynamiques compositions en diagonale tranchent au sein des pages verticales du magazine américain McCall's où il travaille depuis les années 30(photo ci-contre, Lemonade and Fruit Salad). Une esthétique dont s'inspirera Bobby Doherty, son confrère new-yorkais contemporain dans des natures mortes pop (photo à gauche, Pickled Eggies pour le New York Times, en 2015).
Nickolas Muray avait une cuisine dans son studio avec un assistant qui préparait les plats tandis qu'un autre était dédié aux tirages. Sa cheffe de studio, Mario Meredith, supervisait le tout. Aujourd'hui, styliste et accessoiriste sont crédités au même titre que le photographe, c'est ainsi le cas pour l'équipe réunie par Grant Cornett (Maggie Ruggiero et Janine Iversen) pour Jello Disco Floor (page de gauche), réalisée pour le Gather Journal, en 2016. La food photography comme la cuisine, reflète un beau travail d'équipe.
(1) Feast for the Eyes, éd. Aperture (2017), 304 pp., 60 $ (non traduit).
(2) Exposition «Food for the Eyes» au C/O à Berlin, jusqu'au 7 septembre.