ll faut bien l’avouer ce confinement forcé n’a pas arrangé nos affaires avec l’horloge et nos relations turbulentes avec l’alternance jour nuit. Les rythmes chronobiologiques, comme dit la Faculté, n’ont jamais été notre fort. On s’emmêle depuis longtemps les crayons entre le lever et le coucher, le petit-déjeuner et le dîner, le vrai roupillon et la petite sieste. La faute sans doute (mais pas que) à des années de bouclage de quotidien papier nous entraînant éveillé jusqu’au bout de la nuit.
Morphée
Ainsi donne-t-on depuis longtemps du fil à retordre à Morphée. Ce qui cependant, nous concernant, n'a pas que des désavantages. Celui d'avoir été incollable sur la série documentaire «Histoires naturelles» diffusée nuitamment dans les années 90. D'avoir lu une cargaison de romans de Georges Simenon. D'avoir constitué une collection délirante de pots de café soluble. Mais surtout d'avoir pris l'habitude de fricasser à toute heure. Lancer un bourguignon, une choucroute ou un tajine à 3 heures du matin nous semblait si évident que l'on ne comprenait pas les récriminations du voisin dérangé dans son sommeil par les parfums de l'oignon et de l'ail rissolés avec tendresse.
Baked beans
Alors, l'autre soir, on a entrepris l'un de ces plats au long cours qui vous tiennent délicieusement éveillé quand vous soulevez le couvercle de la cocotte ou que vous ouvrez la porte du four : les haricots à la bostonienne, autrement dit «les baked beans» rendus célèbres par une boîte de conserve que l'on dégoupille quand on a des envies d'english breakfast comme à Covent Garden ou à Camden Town.
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Petit traité du haricot
On a déniché la recette dans le Petit Traité du haricot de Marie-France Bertaud (1), dont on a déjà dit grand bien dans «Tu mitonnes». Des cocos, tarbais en passant par les mogettes, c'est une véritable encyclopédie de «ce vieux briscard de la gastronomie» qui remplit nos assiettes et régale nos papilles depuis la nuit des temps, de l'Afrique à l'Asie en passant par l'Europe méridionale.
Pour les «haricots à la bostonienne», il vous faut : 300 g de haricots blancs ; 2 tranches de lard ; 2 cuillères à soupe de moutarde forte ; 2 cuillères à soupe de mélasse ou de sirop d’érable ; 2 oignons rouges.
Faites tremper dans l’eau froide les haricots dès le début de la matinée. Le soir, après les avoir égouttés, prenez une grande marmite en terre (ou en fonte) et disposez au fond le lard. Recouvrez avec les haricots égouttés, mouillez largement d’eau froide environ deux centimètres au-dessus de la couche de haricots, incorporez la moutarde mélangée à la mélasse ou au sirop d’érable, ajoutez les oignons rouges coupés en quartiers. Recouvrez et glisser dans votre four préchauffé à 90 degrés pendant toute la nuit (sept à huit heures de cuisson). En mijotant, la mélasse va donner la couleur caramélisée aux haricots.
Marie-France Bertaud explique qu'à l'origine, ce sont les Amérindiens qui utilisaient le sirop d'érable. Elle écrit : «Les Bostoniens ont produit par la suite ce sirop de mélasse, une introduction dans leurs habitudes suite au commerce triangulaire de la traite des Noirs.»
Le 15 janvier 1919 à Boston, la rupture d’une gigantesque cuve de mélasse (9 millions de litres) a entraîné un véritable tsunami visqueux tuant 21 personnes et en blessant 150 autres dans les rues du quartier North End.
(1) Petit Traité du haricot de Marie-France Bertaud (ed. Le Sureau, 2018, 14,50 euros).