La culture peut-elle donner un sens à l'Europe ? A l'heure où nos Etats tentent de se soigner de la maladie de ce que Peter Sloterdijk appelle le «créditisme», à l'heure où l'on envisage à nouveau l'hypothèse du grand saut, reposer la question est salutaire. L'Europe de la culture est encore prise dans un paradoxe, où le substrat indéniable d'une identité commune croise le sentiment d'atonie.

L'Europe de la culture a existé bien avant que les nations ne s'en mêlent. L'Europe des arts et de la pensée a pour elle son long cortège de magnifiques desterrados, et les innombrables preuves de pierre et de papier, de sons et d'images, de son patrimoine commun. L'âge des nationalismes, foisonnant d'imaginaires créatifs flamboyants et tragiques, n'aura finalement pas réussi à écorner cette tendance de très long terme au cosmopolitisme et aux vertueux braconnages.

Que n'a-t-on disserté sur nous-mêmes et sur la crise de nos esprits et de nos consciences, en des temps bien plus sombres, avec Oswald Spengler, Paul Valéry ou Edmund Husserl, au point encore aujourd'hui d'être les as de la quête de soi, nous interrogeant sans relâche sur nous-mêmes pour traquer nos spécificités - tantôt pour plastronner en supposés inventeurs des villes, des expéditions ultramarines ou de la pensée critique, tantôt pour souligner notre propension au tragique, dont notre cinéma nous laisse si souvent la trace : Liliana Cavani, Emir Kusturica, Theo Angelopoulos, Sharunas Bartas, István Szabó… C