Pour ses 50 ans, Libé s’installe ce samedi 11 novembre à la Cité de la Musique pour 24 heures de festival. Au programme : débats et rencontres pour décrypter l’actualité, découvrir les coulisses du journalisme et réfléchir à la marche du monde. Mais aussi des masterclass, des spectacles vivants et des concerts…
Avec les responsables des partis de droite, les rapports ont pu être difficiles pour les journalistes de Libé. Entre post-soixante-huitards et néo-gaullistes, c’était le choc des cultures, sous Giscard comme sous Chirac et Sarkozy. Pour beaucoup de nos interlocuteurs, nous étions forcément d’indécrottables gauchistes tendance baba cool, fumeurs de joints aux mœurs dissolues. Mais le journal étant devenu incontournable dès le début des années 80, il a fallu faire avec. Parler à Libé devint, peu à peu, une douloureuse nécessité. Fin 2007, après la victoire de Nicolas Sarkozy, le naturel revint au galop dans des circonstances comiques.
Lors d’une réunion privée avec des étudiants des grandes écoles encartés à l’UMP, Jean-Claude Gaudin, alors maire de Marseille, avait livré le fond de sa pensée, au détour d’un hommage à Christian Estrosi, candidat à la mairie de Nice. «Lui, il n’a pas fait d’études supérieures particulières. D’ailleurs, il ne s’en cache pas. Mais regardez-le aujourd’hui : toujours tiré à quatre épingles», avait-il déclaré, ajoutant qu’il ne pourrait pas en dire autant de «ces journalistes de Libération que nous reniflons dans l’avion avec le pull-over serpillière, les cheveux longs et les ongles sales». Enregistrés à son insu, ces propos mis en ligne par le journal avaient déclenché une franche hilarité. Quelques jours plus tard, le correspondant de Libé à Marseille avait rendu visite au maire. En costume, parfumé, bien peigné et «les ongles nettoyés à la Javel», il voulait en avoir le cœur net. Il pria le maire de nous en dire plus sur nos odeurs et sur notre style vestimentaire. «Vous n’étiez pas visé», a certifié l’édile, assurant qu’il ne fallait y voir qu’une forme de boutade dans un cadre privé et en principe confidentiel.
Libé est un journal de gauche mais il couvre la droite, la suit, la décrit. Forcément, des liens se créent. Un journaliste se souvient d’un voyage officiel à l’étranger avec Jacques Chirac. Un soir, à l’hôtel, le téléphone de sa chambre sonne. C’est le président de la République. Il lui dit au premier degré : «Vous devriez éteindre la clim si vous ne voulez pas attraper froid.» Parfois c’est moins doux, plus tumultueux. Tous les journalistes de la maison qui ont approché de près Nicolas Sarkozy peuvent en témoigner. Des crises, des tacles et des chocolats pour s’excuser. Selon son inamovible directeur de la communication Franck Louvrier, certaines unes de Libé auront «joué un rôle» dans la conquête du pouvoir par Nicolas Sarkozy. Dès son entrée au gouvernement en 2002, alors qu’il revendique de penser à sa future candidature présidentielle «pas seulement en se rasant», il est particulièrement attentif au traitement que lui réserve le quotidien de la rue Béranger. Pour prouver qu’il pouvait être autre chose que le ministre contre «la racaille», il s’était fait fort de réformer la double peine. Il allait jusqu’à appeler directement les journalistes de Libé qui traitaient de ces questions pour les assurer qu’il était déterminé à mettre fin à ces injustices. «Nicolas Sarkozy n’avait pas de satisfaction plus grande que quand il parvenait à séduire, à défaut de les convaincre tout à fait, des journalistes de gauche», raconte Louvrier.