Du 3 au 6 avril 2025 à Bordeaux, le Fonds de dotation Quartus pour l’architecture organise une série de rencontres, ateliers et explorations urbaines sur la manière de concevoir et habiter les villes. Un événement dont Libération est partenaire.
Pour qui arpente les vertes allées du nouveau quartier résidentiel de Biganos, à l’orée du bassin d’Arcachon, les immeubles récemment sortis de terre n’ont, à première vue, rien de très singulier ni de très autochtone. On remarque leur échelle harmonieuse, leurs façades en bois, leurs généreux balcons… Mais ces logements neufs cachent bien leur âme locale. Derrière les enduits et bardages, entre les chapes de béton, un matériau géosourcé de proximité s’est pourtant frayé une place inédite : de la terre crue, tirée d’une fine argile puisée dans la forêt des Landes.
Impulsée au début des années 2010 par le maire Bruno Lafon, la ZAC (zone d’aménagement concerté) de Biganos – 850 logements neufs à terme – est née d’une pressante nécessité : absorber la pression immobilière et foncière suscitée par l’imposante voisine, Bordeaux. Depuis 2015, et l’extension de la ligne B, Biganos n’est en effet plus qu’à une vingtaine de minutes en TER ou en voiture du tram bordelais… La commune (11 000 habitants) s’est donc résolue à bâtir, mais pas n’importe comment. A l’aménageur (l’Office public de l’habitat, Aquitanis) et à la maîtrise d’ouvrage urbaine (les paysagistes Trouillot & Hermel et les urbanistes 2PM A) elle a proposé d’innover, de faire la ville autrement. Est ainsi né ce pari, collectif : imposer la brique en terre crue à l’ensemble des opérations de la future ZAC.
La brique en terre crue «régule l’humidité et la température»
Le parti pris, rare et osé à cette échelle en France, s’est imposé chemin faisant. «Biganos a longtemps été une terre de briques. Elle a abrité jusqu’à 18 briqueteries, avant que toutes ne disparaissent. Faire de cet héritage l’un des repères du projet a plu», explique Paul Rolland, dont l’agence, 2PM A, est «architecte urbaniste coordinatrice» de la ZAC. Restait un détail enquiquinant : les briques fines, allongées et rosées, que produisaient jadis les briquetiers locaux, étaient cuites. «Soit l’un des matériaux les plus énergivores qui soit, souligne Paul Rolland. Pour être écologiquement pertinents, il fallait les envisager crues et extrudées.»
Dédaignée par la modernité, la «BTC» (brique en terre crue) fait l’objet, en France, d’un récent effort de réhabilitation porté par une poignée de convaincus, dont le groupe Quartus qui a construit avec les architectes Serge Joly et Paul-Emmanuel Loiret le projet des Jardins d’embruns. L’objet, lorsqu’il est exploité en intérieur, a toutes les vertus. «Outre un bilan carbone très faible lié à la simplicité de sa composition [de l’eau et de l’argile, ndlr] et de sa fabrication [séchage à l’air libre], la BTC régule l’humidité et la température», rappelle Paul-Emmanuel Loiret, l’un des architectes de la ZAC, mordu de terre crue. «Elle absorbe bien les sons et, contrairement à la quasi-totalité des matériaux actuels, n’embarque aucun produit chimique.»
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Dans la région, pourtant, sa production n’existait pas. Pour l’inventer, ingénieurs et architectes sont allés frapper, en 2019, à la porte des Dubourg, une briqueterie familiale enracinée depuis des décennies au Barp, à 30 km à l’ouest de Biganos. Les briquetiers, piqués, se sont démenés sans compter. «Nous sommes des céramistes, alors pour nous, ce fut de l’innovation pure, sans parachute», précise la directrice, Marie-France Dubourg. «On a mis de l’eau, de l’argile et du chanvre dans un pétrin de boulanger et on a cherché la bonne recette.» Avec les architectes, eux-mêmes épaulés par l’amàco et CRAterre, deux labos grenoblois pionniers en la matière, les Dubourg ont fini par réussir. Avec leurs briques, 2PM A a ouvert la voie en transformant l’éphémère espace de concertation citoyenne de la ZAC en une solide maisonnette démonstrative.
«Le lobby du béton a bien fait son travail»
Chaque agence d’architecture s’est ensuite emparée, à sa manière, du matériau. Ici pour les cloisons intérieures (Nunc), là en doublage intérieur derrière une façade bois (Dumont Legrand), ici encore pour les murs séparatifs (Joly & Loiret)… «Personne ne savait où on mettait les pieds, mais tout le monde a joué le jeu, les promoteurs les premiers», se réjouit Paul Rolland (2PM A), surpris par un enthousiasme auquel il ne s’attendait pas : celui des Boïens. «Le projet a réveillé des histoires locales et familiales. Les anciens sont heureux que les maçons du coin retravaillent la brique.»
D’aucuns, comme les Dubourg, aimeraient voir cet élan se prolonger. «La BTC manque de débouchés. Il nous faudrait écouler 10 000 m2 par an pour assurer deux temps plein. On en est loin…» «A l’instar de la paille ou du chanvre, la terre crue continue de pâtir du syndrome des Trois Petits Cochons, dit Paul-Emmanuel Loiret. On croit que c’est fragile, que ça ne durera pas. Le lobby du béton a bien fait son travail !» Biganos espère inspirer. Sur la ZAC, environ 400 des 850 logements prévus sont finis et habités. Et le redoutable vent d’ouest a eu beau souffler, aucun ne s’est effondré.