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Libération
Climat Libé Tour Bordeaux: reportage

A Bordeaux, des projets de construction sans artificialisation

Une résidence étudiante sans emprise au sol, une rue-parc… La région bordelaise accueille plusieurs chantiers qui visent à bâtir différemment en innovant.
Mur végétalisé du square Vinet, à Bordeaux. (Philippe Roy/Aurimages via AFP)
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux
publié le 9 février 2024 à 0h49
(mis à jour le 9 février 2024 à 15h52)

Transports, rénovation industrielle, végétalisation… En 2024, Libé explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous gratuits et grand public. Objectif : trouver des solutions au plus près des territoires. Première étape de notre seconde édition, Bordeaux, les 9, 10 et 11 février (entrée libre sur inscription). Un événement réalisé en partenariat avec la ville de Bordeaux et le département de la Gironde avec le soutien de l’université de Bordeaux, le Crédit coopératif, l’Agence de la Transition écologique (Ademe), la Fondation Jean-Jaurès, le magazine Pioche ! et Vert le média.

Bientôt, on ne dira peut-être plus «sortir de terre» mais «poser sur terre» quand on parlera de construction en zone urbaine… A Gradignan, dans la banlieue bordelaise, l’idée fait doucement son chemin : pour répondre à la très forte demande de logements étudiants tout en luttant contre l’artificialisation des sols, l’université de Bordeaux porte un projet baptisé Imago, lauréat du plan d’investissement gouvernemental France 2030. Il s’agit d’une résidence résiliente, sans emprise au sol, qui accueillera à terme six étudiants en colocation. L’habitat aura la particularité de se greffer au-dessus du bâti existant, sans être en contact avec lui, grâce à un exosquelette en bois sur pilotis issu de la forêt landaise. Si Imago n’est pour l’instant qu’un prototype – les travaux devraient commencer à la fin de l’année sur le campus de Bordeaux Sciences agro –, il servira ensuite de modèle pour un programme beaucoup plus vaste de 150 logements à proximité de la fac. Voire davantage si l’idée essaime ailleurs dans le département.

«Construire la ville sur la ville, en améliorant l’existant, dans une métropole en pleine croissance démographique», résume Emma Penot. La jeune architecte, spécialiste de l’habitat résilient et passionnée par la construction en bois depuis un séjour en Norvège, a commencé à réfléchir à la conception d’Imago pendant ses études, avant d’être recrutée par la faculté pour poursuivre le projet aux côtés d’enseignants-chercheurs. Sur les plans, tout a été pensé pour que le logement soit le plus frugal possible, à commencer par l’utilisation de matériaux biosourcés ou la végétalisation de la toiture pour une meilleure isolation. Le bois abattu en forêt sera également envoyé directement sur le chantier, pour sécher sur place et «éviter la partie industrialisation, gourmande en énergie». Quant aux meubles, ils viendront de ressourceries locales «pour privilégier le réemploi».

L’idée de colocation a été retenue pour mutualiser un maximum d’équipements et ainsi limiter la surconsommation liée à la multiplication des fours, frigos, douches… «On veillera bien sûr à la mixité des profils, assure la conceptrice de la résidence. L’Aclef, une association qui facilite l’accès des étudiants à un logement digne et abordable, doit nous accompagner sur ce volet.»

Placette et végétation abondante

A quelques kilomètres, en plein centre de Bordeaux, l’urbanisme de demain joue une tout autre partition. A défaut de pouvoir greffer du neuf sans toucher à l’existant, le projet Canopia s’est donné pour objectif de réhabiliter 70 000 m2 de surface entre les berges de la Garonne et la gare Saint-Jean. Il est présenté par son promoteur Apsys – en lien étroit avec l’établissement public d’aménagement Bordeaux Euratlantique – comme «l’une des plus vastes opérations d’aménagement de France». Point d’orgue de ce projet qui mêle commerces, services et logements : la végétalisation d’une vaste rue-parc de 590 m de longueur, plantée de 235 arbres en pleine terre, «connectée aux quartiers environnants par des ruelles, ponctuées de placette et d’espaces libres à la végétation abondante». Elle viendra contraster avec la rue Sainte-Catherine, ultra-minérale. L’été, cette artère piétonne, l’une des plus importantes de Bordeaux, se transforme en véritable cocotte-minute à cause de l’artificialisation des sols et de la chaleur accumulée. Les premiers coups de pioche (démolition, nettoyage…) de ce programme à un demi-milliard d’euros ont commencé à l’automne 2023, pour une livraison prévue mi-2026.

Canopia était pourtant très mal embarqué et a même failli ne jamais voir le jour. Lors de son élection en 2020, le maire EE-LV de Bordeaux, Pierre Hurmic, s’y est vigoureusement opposé, craignant de voir pousser une «rue Sainte-Catherine bis». Mais «coincée» par l’avancement du projet, hérité de l’ancienne municipalité, la nouvelle équipe a finalement choisi de lui donner «une nouvelle trajectoire», à défaut de pouvoir l’enterrer. «On avait deux choix, retrace Stéphane Pfeiffer, adjoint en charge de l’urbanisme résilient. Soit on disait : on n’aime pas ce projet, on ne s’en occupe pas, et du coup à la fin on a une zone qu’on aurait nous-même rejetée. Soit on essaye de l’améliorer, c’est la politique des petits pas.»

Après d’âpres négociations, les écologistes ont notamment obtenu l’utilisation de matériaux biosourcés, l’intégration de façades végétalisées et l’augmentation de la part de logements qui passe de 4 000 à 6 200 m2, dont 40 % de logements sociaux. Un point très attendu à Bordeaux en raison d’une tension permanente sur le parc immobilier. «Au départ, l’opération était profondément déséquilibrée. L’espace commercial était démesuré», tient à rappeler l’élu. Un comité des enseignes a depuis été créé «pour éviter toute concurrence avec les commerçants du centre-ville». La mairie a également acté la création d’une aire de jeux, d’une ferme urbaine et de 2 000 m2 de locaux d’activité dédiés à l’économie sociale et solidaire (aux tarifs plafonnés). Stéphane Pfeiffer conclut : «On considère que Canopia reste disproportionné sur la question des commerces, mais il est important pour nous de continuer à nous impliquer pour ne pas lâcher la construction de Bordeaux aux investisseurs privés.»