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Libération
Climat Libé Tour Bordeaux: reportage

A Bordeaux, un «parlement mobile» : la parole est à la jeunesse

A Bordeaux, un hémicycle en bois se balade de quartier en quartier. Le «parlement mobile» est le théâtre d’ateliers, de visioconférences et de rencontres organisés par la ville de Bordeaux et le département. Samedi 4 et dimanche 5 février, des animateurs ont sensibilisé les 15-24 ans aux enjeux écologiques dans le cadre du Climat Libé Tour.
Le «parlement mobile» à Bordeaux. (TS- Mairie de Bordeaux)
par Eva Aronica, Léa Petit Scalogna et Lucas Zaï--Gillot, élèves de l'IJBA
publié le 14 février 2023 à 16h42
Transports, alimentation, végétalisation… En 2023, Libé explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous inédits. Objectif : trouver des solutions au plus près des territoires. Première étape, Bordeaux, les 4 et 5 février. Un événement auquel se sont associés des étudiants de première année de l’Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine.

Une drôle d’agora en bois posée là, au milieu de l’atrium du campus de la victoire de l’université de Bordeaux. Des estrades de part et d’autre d’une structure à roulettes. Une cinquantaine de jeunes âgés de 15 à 24 ans sont entassés sur des assises inconfortables. Ils sont conviés à l’assemblée des jeunes : le «parlement génération transition». «Vous contribuez à la vie politique à votre façon. On vous donne la parole aujourd’hui !» lance le maire écologiste de la ville de Bordeaux, Pierre Hurmic. «Cet événement est l’occasion d’écrire la feuille de route 2023-2028 et elle sera co-construite avec vous», poursuit la chargée de mission départementale Résilience et innovations territoriales, Claire Chaperon-Lepage. Les jeunes parlementaires d’un week-end chuchotent dans les rangs. «Hâte de voir ce qui nous attend», entend-on.

Jour 1 : quiz et sous-marin

Une ardoise et des questions à choix multiples. Le quiz commence. Juliette Lenrouilly et Esther Meunier, journalistes à NOWU, un média numérique traitant de problématiques écologiques à destination des jeunes, l’animent. Désigner le nombre de limites planétaires, trouver la signification de l’acronyme Giec (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), deviner le bilan carbone d’un aller-retour Paris-New York… Les participants votent à main levée pour donner leur réponse. Et ils ont tout juste. L’une des journalistes se réjouit : «Vous savez déjà tout, vous êtes trop forts !» Et pour cause. Parmi les participants, certains sont des militants écologistes aguerris.

«J’ai entendu parler du parlement génération transition sur la boucle Telegram des jeunes militants EE-LV», confie Julie, étudiante en première année à l’Institut d’études politiques (Sciences-Po) de Bordeaux. La jeune écologiste regrette toutefois l’homogénéité du groupe de participants. «J’ai l’impression qu’on est tous étudiants, j’ai déjà reconnu quelques personnes de l’IEP.» Des groupes se forment. Les participants doivent choisir entre trois thématiques : échanger (les monnaies), se déplacer (les mobilités) ou valoriser (recyclage des déchets). Ils se répartissent et commencent les ateliers.

D’un côté de la salle, on pédale. Silence. Yeux fermés. Visages concentrés. L’atelier débute par un temps de méditation. L’objectif est l’auto-projection : s’imaginer en 2050 dans un futur désirable. «Et dans ce monde parfait, réfléchissez à comment vous vous déplacerez», suggère Claire Chaperon-Lepage. Réponse dans la prochaine méditation…

Sur des post-it, les parlementaires en herbe sont invités à consigner des actions en rapport à la mobilité qu’il faudrait changer, réduire, stopper ou développer. Studieux, ils partagent leurs idées avec le groupe : utiliser le vélo pour de petits trajets. Ne pas culpabiliser les usagers de la voiture qui ne peuvent faire autrement (notamment les populations rurales). Développer l’usage du train, limiter celui de l’avion…

«Il ne faut pas non plus devenir un taliban de l’écologie», met en garde Ismaël Canoyra, cofondateur du projet BAM, une association promouvant le développement des mobilités douces et alternatives, lorsque la proposition d’une interdiction de voyager en avion est abordée. Selon lui, il faut arbitrer selon la nature et la durée du voyage. «Si c’est pour un week-end à Lisbonne, non ! Si c’est pour faire les soldes à New York, non plus !» Il se fait à l’idée de ne pas visiter tous les pays du monde et favorise l’exploration des territoires qui l’entourent et ce, à vélo.

«N’hésitez pas à faire dissensus, vous êtes un parlement», ajoute l’animatrice de l’atelier Mobilités. Idée farfelue. Eve, lycéenne en terminale, l’a eue : construire un sous-marin pour réaliser de longs déplacements. L’auditoire s’esclaffe. Eve ne se démonte pas : «On ne peut pas dire aux gens d’arrêter de voyager. C’est important de s’ouvrir culturellement.»

Dans l’autre coin de la salle de cours, les jeunes participants se concentrent sur un tout autre sujet : les échanges monétaires locaux. Ils n’ont pas plus de cinq minutes pour repenser tout ou une partie du modèle économique. Avant de se lancer dans cette périlleuse aventure, Yannick Lung leur a présenté la monnaie associative locale girondine : la gemme. Le coprésident de l’association du même nom débute : «Il faut que les citoyens s’emparent de la question de la monnaie et l’utilisent pour acheter local, éthique.»

Dans les petits groupes, les idées fusent. Toutes ne sont pas réalisables et les économistes néophytes en sont bien conscients. «Il faudrait complètement changer notre système de vie», reconnaît Marion, étudiante en master 2, avant de proposer : «Il faudrait acquérir un compte en banque carbone de deux tonnes par an et le dépenser au fur et à mesure !» Pourquoi deux tonnes de CO2 par personne et par an ? Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, il faudrait que chaque Français ne consomme que deux tonnes d’équivalent CO2 par an – la moyenne en 2020 était de 8,9 tonnes. «J’espère que les idées proposées ici vont être réellement examinées par la mairie, poursuit l’étudiante bordelaise. Faire de la participation citoyenne c’est bien. Mais si c’est pour faire du bull shit politique, je trouverais ça dommage.»

Vote et gommettes

La réflexion passée, les jeunes parlementaires restituent leurs idées devant le public du parlement génération transition. Surprise ! Dans la structure en bois, trois élus de la mairie de Bordeaux écoutent attentivement les propositions. Les plus farfelues prêtent à rire, de quoi réchauffer les participants anesthésiés par le froid. «En gros, tu nous proposes le communisme !» lance un lycéen girondin à la proposition d’un de ses camarades, provoquant l’hilarité générale.

Comme au Palais-Bourbon : après les discussions, place au vote ! Ici pas de boutons devant les sièges (low-tech oblige) mais des gommettes. Chaque jeune vote pour la proposition qui lui plaît le plus. Les élus de la mairie s’y collent aussi. «On voulait que ce mélange de jeunes réfléchisse sur les actions de la mairie contre le réchauffement climatique. Je ne suis pas déçue !» se réjouit Tiphaine Ardouin, adjointe au maire chargée de la démocratie permanente. Elle reconnaît que la diversité de l’assemblée n’était pas celle souhaitée à la base. «C’est le problème quand on fonctionne sur la base du volontariat. On cherche à éviter cela dans la politique de démocratie participative de la mairie.»

Après cette première journée, un constat est partagé par la majorité de l’assemblée, «Il nous aurait fallu plus de temps pour vraiment discuter des sujets, on est beaucoup resté en surface.» Une possible amélioration pour les futures escales du parlement génération transition…

Jour 2 : nouvelles propositions

Dimanche, on laisse tomber les ardoises et les gommettes. Place aux mains levées et aux prises de paroles spontanées. Le parlement mobile est moins rempli que la veille, ils sont environ 25 jeunes. Les thématiques de la journée sont «se nourrir», «habiter» et «s’émanciper». Nous les avons suivis dans leurs réflexions sur le premier thème.

Nicolas, de l’association Vrac (Vers un réseau d’achat en commun), vient présenter son projet. Il fait un bond en arrière et nous emmène en 1945. A cette époque, la Sécurité sociale paraît utopique mais elle naît et permet une augmentation de l’espérance de vie en France. Pour 2023, Vrac se projette dans une nouvelle utopie : créer le même principe pour l’alimentation. L’association veut faire de la nourriture un bien commun. Comme pour la protection sociale, il y aurait un pot commun auquel chacun contribue en fonction de ses moyens et en bénéficie selon ses besoins. «Contrairement à la santé, le besoin de s’alimenter est stable. Si on est malade ponctuellement, on mange quotidiennement», explique Nicolas. Il poursuit sa comparaison : «A la place d’une carte vitale, on aurait une carte sur laquelle serait crédité un montant qu’on pourrait dépenser dans une alimentation qui correspondrait à une charte définie.» Les trois grands piliers du projet sont l’universalité, la démocratie et la solidarité. Un des participants au parlement s’exclame : «Ça me paraît ambitieux mais si le projet fonctionne, j’y adhère !»

L’après-midi se poursuit par le rituel de méditation des ateliers du parlement des jeunes. Ils se projettent dans un avenir souhaité. En 2040, qu’est-ce qu’ils veulent manger et d’où proviennent leurs aliments ? Parmi les propositions, Juliette, 21 ans, propose de ne plus accorder de subvention aux élevages intensifs tandis que Caroline, 20 ans, suggère d’agencer les rayons alimentaires en fonction de leur empreinte carbone. «Un peu comme on fait un rayon bio aujourd’hui», illustre-t-elle.