A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les projets et initiatives qui font bouger les politiques urbaines.
Les îles et les archipels sont-ils naturellement plus exposés que les continents aux risques liés à l’eau ? On pourrait croire la question purement rhétorique, mais ce serait oublier un peu vite que la vulnérabilité des Outre-mer est aussi d’origine anthropique. En Guadeloupe, sur la communauté d’agglomération de Cap Excellence, «les risques d’érosion, de submersion, d’inondation et de ruissellement sont amplifiés par le modèle actuel de développement urbain», expliquent les architectes urbanistes Franck Hulliard et Alizée Moreux. Tous deux ont participé à un programme ministériel baptisé «Atelier des territoires» qui vise à accompagner les acteurs locaux (élus, techniciens, partenaires institutionnels et associatifs…) dans des projets d’aménagement mieux adaptés aux enjeux écologiques.
«Il s’agit de confronter une politique publique définie nationalement avec la réalité du terrain», résume Franck Hulliard. A Cap Excellence, les équipes se sont concentrées sur la thématique des sols et de leur bonne santé. L’affaire est loin d’être anecdotique : entre 2004 et 2020, 759 hectares de foncier ont été consommés, soit près de trois fois la superficie de Pointe-à-Pitre. Cette artificialisation des sols amplifie le ruissellement de l’eau, et avec lui le risque d’inondation. Il augmente aussi le risque de submersion qui menace de vastes zones d’activités économiques et industrielles, telles celle de Jarry dont l’extension s’est faite aux dépens de la forêt marécageuse et de la mangrove, des écosystèmes clé pour la régulation des crues et pour la protection des littoraux.
Démarche écologique et pragmatique
De fait, sur l’ensemble de l’agglomération, 17 000 habitants et 8 000 emplois sont directement menacés : cette situation de crise appelle des relocalisations et des recyclages urbains, défendent les architectes. Autrement dit, il faut déplacer ou transformer l’existant. Mais les outils de planification locaux (PLU et autres SCot) et les réglementations en vigueur s’avèrent parfois insuffisants pour penser et anticiper la fin du siècle. Alors plutôt que de crier à l’hérésie devant des projets de construction détruisant des sites naturels, l’équipe de l’Atelier des territoires a conçu avec des scientifiques et des acteurs locaux une «boussole des valeurs des sols», pour évaluer et mettre en lumière les bénéfices écologiques et mémoriels de la conservation de terres naturelles.
Exemple avec l’infrastructure routière prévue sur le secteur de Dothémare, portée par la région : à travers l’emploi de la «boussole», le potentiel agronomique des hectares destinés à disparaître sous le bitume a été rappelé, questionnant la pertinence du projet. D’autres tracés routiers ont alors été proposés, qui permettent de maintenir les espaces voués à l’agriculture. Plus largement, l’enjeu est de favoriser la renaturation de certains espaces anthropisés, et notamment de redonner à la mangrove son rôle protecteur. Ecologique, la démarche est aussi pragmatique : il coûte cinq fois moins cher de protéger les zones humides que de compenser la perte des services qu’elles nous rendent gratuitement… «Il faut changer de logiciel !», appelle Alizée Moreux.