Rénovation, économie d’énergie, écologie… A l’occasion de la consultation internationale «Quartiers de demain» visant à améliorer le cadre de vie des habitants de dix territoires pilotes, retour sur quelques projets pensés comme des laboratoires d’expérimentation.
Lors d’une après-midi de novembre à Coulommiers (Seine-et-Marne), une étrange procession parcourt le quartier des Templiers qui, avec ses 1 260 logements sociaux, concentre 60 % du parc social de la ville. Le ciel est exceptionnellement bleu et les petits ensembles vieillissants de l’Office public de l’habitat (OPH), construits pour l’essentiel dans les années 1950 et 1960 et entourés de verdure, offrent des vues panoramiques sur la campagne alentour. Plusieurs officiels sont présents : Laurence Picard, la maire de la ville, Benoît Kaplan, le préfet délégué pour l’égalité des chances de Seine-et-Marne, l’inspectrice d’académie de l’Éducation nationale… mais aussi pas moins d’une cinquantaine d’architectes, d’urbanistes et de paysagistes. Car le quartier (plus exactement un périmètre d’environ 18 000 m² au sud du quartier) fait partie des dix sites choisis dans le cadre de la consultation internationale dénommée «Quartiers de demain». Et les dossiers de candidature sont attendus dès la mi-décembre. Pour les agences d’architectes, la visite est donc l’occasion de découvrir le site et d’échanger avec la maîtrise d’ouvrage et les partenaires du projet, avant d’envoyer, sans doute un peu «charrette», leur proposition.
Ouvrir le site sur la ville
A Coulommiers, l’ambition de cette consultation inédite, «exceptionnelle» selon les mots de ses coordinateurs, est de penser «l’école de 2050». Plus concrètement, il s’agit de transformer en un nouveau pôle éducatif deux écoles existantes, dispersées sur trois sites du quartier, couplées avec une crèche. L’une de ces écoles (Jehan-de-Brie) est a priori destinée à la démolition du fait de «l’état actuel du bâtiment et [de] sa non-fonctionnalité» justifie la maire, tandis que l’autre établissement doit être réhabilité et étendu. L’ambition est d’ouvrir davantage le site sur la ville (avec de nouveaux accès, des circulations douces…) et de mieux adapter les bâtiments et le quartier aux dérèglements climatiques. Ces derniers, en effet, n’épargnent pas le département : la crue exceptionnelle d’octobre dernier, qui a paralysé le centre-ville de Coulommiers et obligé à des évacuations, l’a encore rappelé, et l’eau ruisselant des rues pentues et bitumées du quartier des Templiers n’a pas arrangé les choses. «Les quartiers prioritaires de la politique de la ville ne doivent pas rester en marge, ils ne doivent pas être à la remorque des enjeux majeurs, y compris écologiques», défend Benoît Kaplan.
Pour Marie-José Thouret, à la tête de l’OPH de la ville, cette consultation montre l’intérêt porté au quartier : elle est «très attendue», dit-elle. Quant au projet, il lui semble «pertinent de tout regrouper, car l’établissement Jehan-de-Brie est actuellement situé dans un cul-de-sac». Quid de la proximité, précieuse pour les familles ? Le nouveau pôle éducatif sera situé au maximum à 600 mètres des logements des enfants accueillis, plaide encore la directrice, qui a elle-même grandi dans le quartier des Templiers. Quand ses parents y sont arrivés, dans les années 1950, les commerces se réduisaient à la pompe à essence, se souvient-elle. Peu à peu, des magasins et des services se sont installés. Mais aujourd’hui, le petit centre commercial fait grise mine. Elle décrit un quartier marqué par la paupérisation mais où l’on se sent bien malgré tout et où les gens ont envie de rester. Les chiffres semblent lui donner raison, du moins en partie : le taux de pauvreté s’élève à 43 % sur le quartier, la part de familles monoparentales à 38 %, et près de la moitié des habitants ont emménagé il y a plus de dix ans (soit une ancienneté légèrement supérieure à celle des habitants des autres parties de la ville). Désormais, Marie-José Thouret espère un coup de jeune sur le quartier et sur l’école, avec une «image plus joyeuse, plus moderne, plus écologique».
Lieux exemplaires
A travers cette consultation internationale, l’Etat met sur la table 450 000 euros par site pour rémunérer les études de trois agences présélectionnées même si, au final, une seule équipe sera choisie, en octobre 2025, pour finaliser le projet. Mais «Quartiers de demain» n’intervient pas dans le budget du projet en lui-même – à Coulommiers, la cité éducative est chiffrée à 17 millions d’euros. L’opérateur de la consultation explique que cette dernière vise surtout à «mettre les projecteurs sur ces quartiers» en favorisant la réalisation de lieux exemplaires. La maire, qui n’a pas attendu l’Etat pour, depuis plusieurs années, lancer avec l’OPH une réflexion sur le renouvellement urbain des Templiers, mentionne aussi la nécessité de financements et «l’espoir que la consultation internationale ouvre la voie à un accompagnement attendu».
Dans les rangs des architectes présents ce jour-là, la démarche fait en tout cas débat. «C’est un peu le “Réinventer Paris” des quartiers», glisse un architecte en allusion à l’appel à projets lancé en 2014 auprès des promoteurs, investisseurs et concepteurs du monde entier pour une vingtaine de sites de la capitale. Venue en visite sur les lieux avec sa collègue paysagiste, l’architecte Anne Pezzoni, associée de l’agence Archi5, salue un projet local, juste, qui vise à faire d’une cité éducative une nouvelle centralité, via un fin travail de couture urbaine. Mais elle regrette l’approche «schizophrène» de cette consultation «hyper com», affichée comme la traduction de la volonté présidentielle, avec le désir d’attirer des pointures internationales. «Je n’ai rien contre le geste architectural, mais pour ce projet, il faut de la présence, du temps, de l’écoute et de la modestie», défend-elle. Les projets locaux ont-ils besoin de concours internationaux ? Les quartiers populaires ont-ils besoin d’exemplarité ? Ce sont plutôt les moyens qui manquent sur des milliers de sites pour simplement faire bien les choses sans forcément viser l’ultra-performance. «Nous sommes au bord d’un précipice écologique imminent : plutôt que de faire des manifestes, il faut intervenir massivement ! On se gargarise de 2050, faisons plutôt 2024», conclut l’architecte.
Faire de vrais quartiers de ville
Dans les années 1960, il fallait loger, et vite. On a alors construit de nouveaux quartiers qui ressemblaient à des cités-dortoirs. Mais après un demi-siècle de politique de la ville, la monofonctionalité n’est plus la norme dans les quartiers prioritaires (QPV), observe Marie-Christine Jaillet, directrice de recherche au CNRS. Au fil des ans, des équipements y ont été construits, facilitant le quotidien. C’est positif… À condition que cela n’enferme pas les habitants dans des quartiers enclavés, ségrégués. «C’est très bien de travailler sur la qualité des espaces publics et du cadre de vie, mais cela ne règle pas les questions de précarité économique», relève la chercheuse. Les transports publics sur les trajets domicile-emploi, qui passent souvent par des liaisons de banlieue à banlieue encore mal desservies, doivent être renforcés. Autre levier pour faire des quartiers prioritaires des territoires pleinement inscrits dans la ville : y installer des services et des équipements qui ne soient pas réservés à leurs habitants, mais qui puissent attirer la population de toute une agglomération. Un grand parc, un musée, une halle sportive… autant de nouvelles destinations urbaines, pour tous. De quoi permettre de renouveler le regard sur ces quartiers et de favoriser des expériences d’altérité, de frottement, ô combien précieuses dans une société en proie à «la fragmentation sociale, à la peur de l’autre», juge Marie-Christine Jaillet.