Menu
Libération
Les temps des villes et des territoires: reportage

A Créon, la végétalisation de la ville «infuse»

Transition écologique : le temps des villes et des territoiresdossier
Depuis 2020, la municipalité a entrepris, en concertation avec ses habitants, l’implantation de végétaux dans l’espace public afin de se protéger des épisodes caniculaires. Une transformation progressive qui passe par la pédagogie.
Marie M., au jardin des Trois Cabanes du centre social Marceau-Mulsant, à Roanne (Loire), en juin 2022. (Veronique Popinet/Grande Commande BNF - Hans Lucas)
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux
publié le 23 novembre 2023 à 14h04
(mis à jour le 28 novembre 2023 à 17h29)

Pour anticiper l’évolution de la biodiversité et l’intensification de l’effet de serre dans les prochaines décennies, de plus en plus de villes prennent le virage de la végétalisation urbaine. C’est le cas à Créon, en Gironde, une bastide médiévale de 5 000 habitants, typique du Sud-Ouest, à 25 kilomètres à l’est de Bordeaux. Dès 2020, la municipalité a fait le constat que la ville était trop minérale avec ses bâtisses en pierre de calcaire, sa grande place dépourvue de végétation ou sa cour d’école entièrement goudronnée. Et, pour ses habitants, des canicules exacerbées par le phénomène d’îlot de chaleur urbain. L’année suivante, décision a été prise de lancer une campagne de végétalisation de l’espace public avec la plantation de chênes rouges d’Amérique, de vignes et de grands jasmins. En parallèle, l’opération «Verdissons nos rues» a incité les habitants et les commerçants à végétaliser leurs pas-de-porte. «Un succès», se félicite l’adjoint au maire, Pierre Marchive, en charge du projet.

S’attaquer à la place de la Prévôté et ses arcades, poumon économique et social de la ville, s’avère moins aisé. «Aujourd’hui, avec ses 90 places de stationnement, c’est un parking à ciel ouvert. Mais surtout, l’activité y est très dense, avec le marché du mercredi, sacré chez les Créonnais. Il a fallu réfléchir à végétaliser sans gêner les commerçants», pointe l’élu. Pour mettre tout le monde d’accord, la ville a opté pour l’implantation d’un seul grand arbre, un adulte pour créer un maximum d’ombre. «A priori, ce sera un grand chêne vert cerclé par un muret de pierre carré pour respecter l’architecture», détaille Pierre Marchive.

Tilleuls, hêtres, érables, poiriers, cerisiers du Japon, arbustes et plantes vivaces… Le parvis de l’école maternelle a également été repensé avec une composition végétale. Le cimetière, qui ne possédait pas un seul brin d’herbe, est lui aussi en transition : îlot par îlot – pour ne pas perturber les familles avec de gros travaux – une couche de substrat organique vient remplacer le gravier. Elle constituera, à terme, un tapis de verdure naturel.

«Beaucoup de pédagogie»

«Aujourd’hui, notre démarche est saluée, mais au début, on n’avait pas anticipé la gronde des agents techniques», se souvient Pierre Marchive. Habitués durant des décennies à «faire propre», la plupart ont difficilement accepté le passage à la gestion raisonnée. «Laisser pousser des herbes folles n’était pas instinctif. Il y a eu des résistances avec des agents qui repassaient carrément au taille-haie dans notre dos. A force de persuasion et de formations, ça a infusé», se félicite l’adjoint.

«Pour passer d’une culture très ornementale, liée aux jardins à la française, à une conception du jardin en mouvement, tel que le nomme le paysagiste français Gilles Clément, l’acceptabilité de la population est un vrai enjeu», abonde Emmanuelle Bonneau, paysagiste, urbaniste et enseignante-chercheuse en aménagement de l’espace et urbanisme à l’université Bordeaux-Montaigne. Désormais, les travaux s’accompagnent de panneaux d’information et de «beaucoup de pédagogie» pour anticiper le mécontentement de certains habitants.

Conseil citoyen

Pour se démarquer d’autres villes et pousser plus loin la réflexion, la commune s’est portée également volontaire pour être le terrain d’expérimentation d’une équipe de chercheurs et de professionnels travaillant le sujet de la nature en ville. L’étude, à laquelle Emmanuelle Bonneau participe, a débuté au printemps et devrait s’étaler sur un an. L’objectif : «codéfinir» une liste d’actions susceptibles de préserver, sensibiliser et renforcer la nature en ville et imaginer les évolutions du paysage créonnais pour nourrir le plan local d’urbanisme. «Nous travaillons notamment avec les enfants des écoles, car s’il y a de la pédagogie, elle passe d’abord par ce lien avec la jeunesse. Le changement va venir avec eux», souligne l’urbaniste.

«Cette collaboration entre la recherche et l’opérationnel, c’est encore peu commun et plutôt courageux à l’échelle d’une ville, car la recherche, c’est du temps long. Ça permet de faire un pas de côté, de combiner différents points de vue pour une réponse plus complète et pertinente», analyse Guillaume Pouyanne, économiste urbain et maître de conférences à l’université de Bordeaux. Pour associer les habitants à cette campagne de végétalisation, la ville a créé, au printemps, un conseil citoyen. Il participe depuis à l’élaboration de la décision publique et peut directement proposer des initiatives. «Il faut le reconnaître, l’augmentation des coûts de l’énergie a mis un sacré frein à notre politique d’investissement. Ça nous oblige à faire preuve d’imagination, concède Pierre Marchive. Mais cet été, pour la première fois depuis de longues années, j’ai vu des papillons en ville et des coquelicots pousser aux pieds des maisons. On est sur la bonne voie.»