Rénovation, économie d’énergie, écologie... A l’occasion de la consultation internationale «Quartiers de demain» visant à améliorer le cadre de vie des habitants de dix territoires pilotes, retour sur quelques projets pensés comme des laboratoires d’expérimentation.
C’est une ville nouvelle qui a bien vieilli. Grande-Synthe (Nord), dans la banlieue de Dunkerque, 20 331 habitants, a été reconstruite dans les années 1960 pour loger les ouvriers sidérurgistes d’Usinor, aujourd’hui propriété du groupe ArcelorMittal. Une ville-champignon comme on en faisait à l’époque, poussée en plein champ, avec barres, tours et parkings. «Du logement social à plus de 90 %, précise Martial Beyaert, le maire socialiste. Il y avait une particularité : pas mal de grands appartements, des T4 ou des T5, pour des jeunes célibataires qui arrivaient pour travailler et partageaient ces logements.»
Sur le papier, le bien-vivre-ensemble ne semblait pas gagné malgré la sauvegarde d’un parc naturel, le Puythouck, surtout quand la crise et le chômage ont commencé à frapper la zone à partir des années 1980. La chance de la commune est d’avoir un budget de fonctionnement important, de 65 millions d’euros aujourd’hui (l’équivalent de celui d’une ville de 40 000 habitants), notamment car elle est surclassée au titre de la politique de la ville, explique le cabinet du maire. Ce qui a permis, au fil des années, d’assurer un matelas social à ses habitants grâce, par exemple, à un revenu minimum étudiant et à une rénovation urbaine innovante, avec des bâtiments basse consommation quand ce n’était pas encore la norme.
Une impulsion voulue par le maire d’alors, l’écologiste Damien Carême (aujourd’hui député européen La France insoumise), et une politique poursuivie par son successeur. La règle : que chaque Grand-Synthois ait un espace vert à moins de 250 mètres de chez lui. Des ponctuations de nature dans une ville qui se veut également nourricière, avec sept jardins populaires et maraîchers, une ferme urbaine et, bientôt, une maison de l’alimentation durable qui proposera la vente de fruits et légumes en circuits courts et une épicerie citoyenne.
Julie, 44 ans, mère au foyer de cinq enfants, participe à ce dernier projet en tant qu’habitante bénévole. On l’a rencontrée à la micro-ferme communale, deux ans d’existence et un principe simple : tu donnes un coup de main et tu manges des légumes sains et gratuits. «On est plus gagnant en bla-bla-tage», rigole Anne-Marie, 68 ans, qui aime bavarder. Trop de courgettes à l’été 2023 ? «On les a distribuées place du Courghain», expliquent-elles. C’est-à-dire en plein quartier de la politique de la ville (QPV), qui a déjà bénéficié du Programme national de rénovation urbaine, l’Anru 1. Les deux voisines le regrettent, elles n’ont pas encore eu droit à la réhabilitation thermique de leurs maisons, mais l’espèrent pour 2025.
A l’Ilot des peintres, un autre quartier de Grande-Synthe, la politique de rénovation urbaine en est à sa deuxième phase ; les premiers immeubles livrés dans les années 2010-2015 ont bien vieilli, avec leurs halls vitrés traversants et lumineux. Parmi eux, la résidence Bernard-Buffet tient toujours ses promesses de moindre consommation énergétique (entre 60 et 80 euros par mois de gaz pour des T3 et T4). «Nous avons fait le choix d’éviter les équipements comme les panneaux solaires, générateurs d’entretien et donc de charges supplémentaires, et moins performants sur la durée», explique Dany Turpin, directeur territorial adjoint de Partenord Habitat, le bailleur social local. La solution a été de faire simple : une bonne orientation générale de l’immeuble, 40 centimètres d’isolation, du triple vitrage sur la façade donnant sur le nord, et une VMC (ventilation mécanique contrôlée) double flux de qualité. «Elle recycle 92 % de l’énergie rejetée habituellement à l’extérieur», précise Dany Turpin. La chaufferie au bois originelle, trop coûteuse, a été remplacée par un branchement sur le réseau de chaleur urbaine récupérée de la production d’ArcelorMittal. Le bois des façades a grisé, mais les buissons et les arbres ont poussé, des œillets pointent leur museau blanc. Un voisin d’en face, d’une résidence pas encore réhabilitée, sourit : «On attend tous qu’un locataire parte pour déménager là.»
Il y avait quatre tours, il reste encore un bout de quartier à traiter. Trois grands immeubles ont déjà été démolis mais le quatrième, de taille moyenne, va demeurer : la tour Rubens, comme une vigie en entrée d’îlot. Elle sera isolée par l’extérieur et dotée de balcons. Tout autour, 174 logements vont émerger, dans des immeubles bas de maximum trois étages. «Nous avons souffert de cette ultradensification sur les hauteurs», remarque le maire, Martial Beyaert. Des problèmes d’inconfort sonore et de voisinage, de mauvaise réputation aussi. Pourtant il l’affirme, sa ville est paisible, avec davantage de mixité sociale désormais et 62 % de logements sociaux. Même si elle a été récemment marquée par un fait divers tragique – un jeune homme mort dans une agression après un possible guet-apens tendu sur un site de rencontres. «Pour moi, l’urbanisme est un acteur de la sécurité publique, insiste-t-il. J’ai un objectif : que les habitants soient fiers d’habiter leur ville.»