Deux transats, trois fausses plantes vertes et une bande de moquette synthétique : au centre social de la Sauvegarde, dans le quartier populaire de la Duchère, à Lyon, une salle a été transformée en plateau de tournage. Un autre élément de décor est planté au milieu de la pièce : une fenêtre en carton, placée à hauteur de buste. Une à une, les personnes présentes vont venir l’ouvrir pour improviser une courte saynète. Elles sont une douzaine et leurs performances vont être filmées. Nabou se lance, mime les gestes avec un grand sourire. C’est au tour de Gilbert de pousser les battants. Il regarde à gauche puis à droite, salue des voisins imaginaires. Comme saisie par la fraîcheur matinale, Touria se serre dans son gilet. Nassimou, elle, s’étire en regardant au loin. Delmira se penche un peu, agite la main vers le bas…
«Réchauffer la place du marché»
Derrière la caméra, Philippe Dubost encourage les apprentis comédiens – surtout des comédiennes, des habituées du centre social qui y apprennent le français et participent aux ateliers d’informatique ou de cuisine. Le vidéaste a fondé son studio avec Marie de Biasio. Leur concept : à partir de mouvements esquissés par des habitants, ils créent des silhouettes animées – des personnages reconnaissables à leur contour blanc – qui sont ensuite projetées sur des façades de bâtiments. Ces «fantômes» se déploient pour raconter l’histoire d’un lieu ou le plonger dans une aventure inédite. Depuis 2021, les créateurs sillonnent la France dans leur «Fantômobile». Prochain arrêt à la Duchère du 7 au 10 décembre pour la Fête des lumières qui s’invite cette année dans ce quartier périphérique avec la «volonté de sortir du cœur traditionnel» de Lyon, souligne Philippe Dubost.
Dans ce secteur du IXe arrondissement, remodelé par la rénovation urbaine lors des quinze dernières années, la fresque lumineuse sera diffusée durant quatre soirs sur la place centrale Abbé-Pierre. Pour façonner la toile de fond, il a d’abord fallu «travailler à partir de photos des bâtiments et modéliser les façades pour créer des jeux de lumière et des trompe-l’œil», explique Philippe Dubost. Puis l’histoire, intitulée le Soleil de la Duchère (1), a été élaborée de manière participative. L’écriture du scénario a été confiée à des habitants, d’autres en sont devenus les acteurs. «On nous a dit que la grande force de cet endroit, c’est la solidarité, la chaleur humaine, donc on s’est dit qu’on allait réchauffer la place du marché en décembre, avec un soleil nourri par ceux qui y vivent», résume le vidéaste.
Plus d’un millier de modèles
La petite troupe du centre social de la Sauvegarde a été réunie par Emmanuelle Girard, animatrice famille de la structure. «Les gens viennent aussi ici pour oublier ce qu’il leur arrive à l’extérieur», glisse-t-elle. Durant une heure, la séance de mimes tourne à la rigolade bienveillante. Après la scène de la fenêtre, les participants sont incités à proposer d’autres «tableaux» à partir d’objets ou de mouvements qui leur sont chers. Yacine, originaire du Sénégal, a apporté son mortier traditionnel. «Fais comme si tu préparais quelque chose, tu ajoutes l’ail, le piment, l’oignon», incite Philippe Dubost. Le battement de l’ustensile crée un rythme, qui pourra être repris par la bande sonore de la projection. Puis Touria et Gilbert font une répétition des étirements que ce dernier, retraité athlétique, enseigne dans le cours de gym qu’il donne au centre.
Nassimou, qui brode de somptueux costumes comoriens, fait mine de coudre avec des gestes amples puis de déployer un grand tissu. «Imagine que c’est une danse pour accueillir le soleil», lance Philippe Dubost à Nabou, danseuse chevronnée qui s’élance en roulant des hanches. Le vidéaste a réalisé d’autres captations lors d’ateliers à la bibliothèque ou sur les terrains de sport du quartier, collectant plus d’un millier de modèles. Près de 400 silhouettes différentes devraient apparaître dans le spectacle final d’une dizaine de minutes. «On va prendre les mouvements qui marchent bien, explique-t-il. Vous pourrez dire à votre famille : “Là, c’est moi !”» Le créateur lance les dernières propositions avant que l’atelier ne touche à sa fin : porter un carton vide en imaginant qu’il s’agit d’un bloc de pierre du bâtiment ou encore planter les graines «d’un jardin magique». Et nager le crawl allongé sur deux chaises, «comme si on évoluait dans le cosmos»… Ravis, les sportifs Gilbert et Nabou se jettent à l’eau, pour de faux.
(1) Le Soleil de la Duchère, par le studio les Fantômes. Du jeudi 7 au dimanche 10 décembre, de 17 h 30 à 21 h 30, place Abbé-Pierre (Lyon, IXe arrondissement).