Quelles solutions propose l’architecture pour s’adapter à l’imprévisibilité du monde, repenser l’existant et imaginer de nouvelles façons d’habiter l’espace ? Un dossier réalisé en partenariat avec l’Institut français à l’occasion de la Biennale d’architecture de Venise 2025. Tous les articles sont à retrouver ici.
L’endroit est presque bucolique. Il y avait encore des pêchers jusqu’à la fin du siècle dernier, il y a toujours des brebis qui paissent pour produire les fromages du marché. A Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes), les vergers de Minelle sont une zone naturelle, comme on en voit peu sur la Côte d’Azur. Coincée entre un hypermarché et une route goudronnée, sa verdure s’étend sur 14 hectares. Le terrain a été racheté par la mairie et sanctuarisé par le PLU, le plan local d’urbanisme. Dans une ville en proie à l’urbanisation et aux inondations, le «projet d’aménagement résilient» prévoit dans ce grand pré des ouvrages hydrauliques qui réduiront le risque : quand l’orage grondera, l’eau montera dans les vergers de Minelle au lieu de submerger les quartiers résidentiels. La population en aval sera moins vulnérable.
Mandelieu-la-Napoule a connu les crues. En 2015 et en 2019, l’eau est montée emportant avec elle des maisons, des souvenirs, des vies. «Ces épisodes ont été très marquants, se souvient Lionel Rubaudo, directeur général des services de la ville de Mandelieu. Pendant quelques heures, des résidences n’étaient plus accessibles par les services d’urgence, des familles avec enfants ont dû être secourues. Il y a eu des morts. C’est un vrai traumatisme pour l’humain et le territoire. Il nous faut agir collectivement.» Depuis, il y a la prévention dans les écoles et la construction de bassins de rétention, les subventions pour les batardeaux (des barrages provisoires) et le curage des cours d’eau. Le projet d’aménagement des jardins de Minelle fait partie de cette résilience.
Endroit stratégique
Le Riou de l’Argentière est un ruisseau qui prend sa source sur les premiers renforts du Var. Par temps calme, il s’écoule paisiblement vers la Méditerranée, traversant les quartiers bas de Mandelieu-la-Napoule. Quand le ciel tombe sur la tête, la rivière devient furie. «Le Riou de l’Argentière est coincé dans un vallon. Sa vitesse est rugissante et son niveau monte rapidement, explique Lionel Rubaudo. Pour peu qu’il y ait des embâcles naturels, on se retrouve avec 1,50m d’eau au niveau du magasin et 1,90m dans les jardins de Minelle. Ce sont des réalités, pas des légendes !»
Les vergers de Minelle bordent le Riou de l’Argentière. Avec ce projet d’urbanisme, ils deviendront rizières. «C’est une partition en trois. La première rizière se déverse dans la seconde, la seconde dans la troisième. Au milieu coule la rivière, expose l’architecte du projet Eric Daniel-Lacombe. Avec ces trois petits murs de 1,50m, on arrive à calmer l’eau et à la faire couler. On enlève de la force et de la dynamique, on fait des vergers une zone d’absorption de grandes quantités d’eau.» Car les vergers de Minelle sont un endroit stratégique pour le mouvement hydraulique. Plus bas que le Riou de l’Argentière, le jardin est un secteur d’expansion de crue naturelle. «Le territoire de Mandelieu était une zone marécageuse, complète Lionel Rubaudo. Il y a eu une grosse transformation du paysage par les approches de la voirie, l’urbanisme, la présence de l’homme.»
«On pratique la culture de la prudence»
Et l’homme dans ce projet hydraulique et urbanistique ? Le verger restera ouvert aux promeneurs, aux sportifs, aux amoureux des animaux. «Ce ne sera pas un objet technique hors de la vue, rassure l’architecte. Je fais une alliance entre la ville et la nature.» Un tiers du jardin sera réservé aux animaux de la ferme, un deuxième tiers «aux pique-niques et aux balades à vélo», un dernier tiers «aux animaux que personne ne connaît» : «On va faire comme en Floride. On mettra des passerelles au-dessus pour dire aux enfants : “Venez voir une nature sauvage où vous ne mettez pas vos pieds”, promet Eric Daniel-Lacombe. Les habitants ont gagné un immense jardin.»
Le temps est aux autorisations et aux enquêtes publiques. Les travaux pourraient démarrer à la fin de l’année 2026. Le coût d’achat du terrain en décembre 2021 s’élève à 2 millions d’euros, celui des travaux est estimé à 25 millions. Un budget réparti entre la ville, l’agglomération et l’Etat. Les vergers de Minelle seront aussi un lieu de prévention. «Comment l’eau arrive ? Comment elle ricoche ? Au lieu d’effrayer tout le monde avec le risque, on pratique la culture de la prudence, énonce l’architecte. Comme si on racontait le vent à quelqu’un qui prend la mer ou la neige à une personne qui va affronter une avalanche.» Quand la météo se fait caniculaire, «toutes ces dérivations sont des canaux frais qui rafraîchiront Mandelieu l’été et rassureront les gens sur le risque de très grands incendies». Et les brebis continueront de paître à l’envi.