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Libération
Reportage

A Marseille, le Petit Séminaire va passer au vert

Transition écologique : le temps des villes et des territoiresdossier
Après la démolition de ses bâtiments délabrés, cette ancienne cité du nord-est de la ville a été choisie pour participer à la consultation «Quartiers de demain», qui devrait valoriser au mieux ses espaces paysagers.
Le quartier du Petit Séminaire, à Marseille (Bouches-du-Rhône) sera bientôt traversé par une grande «coulée verte». (Quartiers de demain )
publié le 20 décembre 2024 à 1h35

Rénovation, économie d’énergie, écologie… A l’occasion de la consultation internationale «Quartiers de demain» visant à améliorer le cadre de vie des habitants de dix territoires pilotes, retour sur quelques projets pensés comme des laboratoires d’expérimentation.

Le Petit Séminaire, il l’a toujours connu. C’est dans ce quartier du nord-est de Marseille, situé en fond de vallon, que Guy Lucchesi a tous ses souvenirs d’enfance. Il montre un cyprès, à côté duquel il venait boire de l’eau à la source : une bastide se dressait là, qui «dépendait du grand séminaire de Saint-Joseph». Puis, à quelques pas, il révèle son «bijou», soit une parcelle de verdure où pousse une herbe touffue, entre les grandes résidences de logements collectifs, avec une vue sur le massif collinaire au loin. «C’est une partie restante de la campagne Arnoux, qui était un terrain d’aventures pour les minots que nous étions, jusqu’à ce qu’ils construisent les Bougainvilliers», raconte-t-il encore. Longtemps, Guy Lucchesi a craint de retrouver à cet endroit les projets immobiliers qui grignotent le reste du territoire : ces jours-ci, quatre grues lacèrent le paysage en contrebas.

A la tête du comité d’intérêt de quartier de Beaumont-Plateau, il s’est battu pour limiter la hauteur des éventuels bâtiments à 16 mètres dans cette zone constructible. Mais cela, c’était avant qu’elle intègre le projet de coulée verte. Le Petit Séminaire fait en effet partie des dix quartiers prioritaires de la ville retenus pour la consultation internationale «Quartiers 2030» destinée à imaginer les «quartiers de demain». Le projet marseillais se distingue par son entrée paysagère : une trame verte de plus de deux hectares courant le long de la rue de la Maurelle. Un espace loin d’être anodin tant cette rue a écrit un pan de l’histoire du logement social à Marseille.

A la fin des années 1950, la cité du Petit Séminaire y est construite pour résorber une part des bidonvilles de l’après-guerre. Pas une grande barre mais quatre petits immeubles, dont les 240 logements, aux aménagements sommaires, requièrent vite une première réhabilitation. De 1976 à 1986, l’opération se mène, déjà, dans un cadre tout à fait innovant : la maîtrise d’œuvre est confiée à une équipe réunissant architectes, sociologues et photographes, qui jouent le rôle de médiateurs entre les habitants et l’office HLM. «Les gens ont défini ce qu’ils voulaient, se rappelle Guy Lucchesi. Il y avait une grande agora, où l’on pouvait se réunir, des familles de toutes nationalités, de toutes les confessions, avec une grande communauté gitane. Tous les 24 juin, il y avait le plus grand feu de la Saint-Jean de Marseille. C’était la vie de bohème.»

Ces souvenirs rendent Guy Lucchesi d’autant plus sévère sur la chronique du mal-logement qui s’est ensuite enclenchée. A partir des années 1990, les bâtiments et les espaces extérieurs se dégradent, jusqu’à atteindre un point de non-retour : la cité est détruite entre 2020 et janvier 2024. «Le Petit Séminaire représente à lui seul le déshonneur national en matière de gestion du logement social, c’est plus de quarante ans de laisser-aller, d’abandon total», dénonce-t-il. Alors, en se réjouissant que le «vert l’emporte sur le béton» et que bientôt soit créé «un jardin pour les petits qui n’ont rien», il salue aujourd’hui autant le projet que la méthode : «C’est vraiment axé sur le paysage, pas l’urbanisme, cela va apaiser tout le quartier, lui redonner de l’oxygène.»

«C’est très difficile de ne pas être d’accord quand on aborde le projet de rénovation via le vert», abonde Bélaid Aroun, directeur de la Maison pour tous La Maurelle, qui relaie aussi les «fortes attentes sur le logement» des 1 500 habitants du quartier classé prioritaire. Avec d’autres riverains, il table sur un effet d’entraînement de cette nouvelle coulée verte pour une «réhabilitation qualitative» de l’ensemble de la zone. Car la destruction de la cité du Petit Séminaire a mis en lumièrel’urgente rénovation des bâtiments voisins des Ruches. Celle-ci est au programme, tout comme la construction de nouveaux logements sociaux et d’autres en accession à la propriété, «ouverts sur le paysage et la rue de la Maurelle», précise-t-il.

Pour l’heure, les résidents ont toujours vue sur des carcasses de frigos, des canapés défoncés et tous les détritus qui jonchent la pente entre les pins et d’autres essences méditerranéennes. Mais les qualités paysagères de la zone n’ont pas échappé aux équipes venues fin novembre visiter le lieu avant de déposer leur candidature au concours. Le début de chantier est prévu en 2027, entre-temps, le projet doit se construire avec les habitants. Les idées émergent déjà : un parcours sportif, un lieu intergénérationnel, des espaces «pour se poser à la sortie de l’école»… «Si on respecte la parole des habitants, cela ne pourra que réussir, assure Bélaid Aroun. On peut faire un truc magnifique dans la petite colline.»


Construire avec les habitants

Peut-on réparer la démocratie à partir du logement, du quartier ? Depuis 2014, la question de la participation des habitants dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) est tranchée par la loi : les conseils citoyens, qui ont pour but d’associer les habitants aux décisions, y sont obligatoires. Mais de la théorie à la pratique, il y a souvent un grand écart. «C’est difficile de mobiliser les habitants», lâche une élue. «On a déjà été sollicités et les participants ont été très déçus des suites données, pour parler poliment», regrette un acteur social. Marie-Hélène Bacqué, sociologue et urbaniste, le confirme : si les démarches participatives s’imposent dans les discours, elles se réduisent souvent dans les faits à de la simple information, voire de la communication. Dans la plupart des opérations de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), la démolition est déjà actée quand les résidents sont consultés. Mais des contre-exemples existent. Ainsi de la rénovation d’une série de pavillons HLM promise à la destruction à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), emblématique de la «permanence architecturale» que l’urbaniste et architecte Sophie Ricard défend depuis plus de dix ans. Trouver des solutions adaptées ne peut se faire sans les habitants : «Il faut une réappropriation citoyenne !»