Comment fournir une alimentation durable et de qualité à toutes et tous ? Enquêtes, portraits, témoignages et reportages... Un dossier réalisé en partenariat avec l’association «Vers un réseau d’achat en commun» à l’occasion de ses 10 ans.
Il y avait des fanions en cascade, une grande scène installée au milieu de la route goudronnée, des stands où déguster une citronnade ou un thé à la menthe, un concert de tambours et des enfants qui couraient partout, excités comme des puces. En temps normal, le quartier Beaudésert, jouxtant l’aéroport de Mérignac, une commune limitrophe de Bordeaux, est rarement aussi animé. C’était sans compter l’acharnement de l’association Vrac à mettre en place des projets collectifs dans ce quartier populaire pour mobiliser ses adhérents et fédérer une partie des 1 500 habitants. Le 25 mai, l’association, qui milite pour rendre accessible à tous une alimentation saine et durable, y a organisé, pour la quatrième fois, son grand concours de cuisine des quartiers : les Délices de Beaudésert. L’étape préalable à la finale nationale qui se tient ce mardi 4 juillet.
«On a lancé un groupement d’achat dans le secteur, pour que les habitants deviennent acteurs de leur choix de consommation alimentaire, mais on avait du mal à mobiliser les adhérents de manière régulière. L’organisation d’ateliers cuisine, en amont du concours, a permis de renouer le lien et d’attirer un nouveau public», se réjouit Alicia, salariée à Vrac. Elle a coconstruit l’événement avec la ville et le centre de loisirs. Répartis en deux catégories, l’une salée, l’autre sucrée, les participants avaient pour défi de convaincre un jury de quatre chefs à la tête de restaurants dans la métropole bordelaise ou d’écoles de cuisine. Avec une contrainte : sublimer une cuisine sans viande, ni poisson, avec des fruits et légumes de saison. Pas toujours une évidence quand manger des produits de qualité au quotidien n’est ni dans ses habitudes, ni dans ses moyens. «L’alimentation reste un marqueur d’inégalité sociale, ça fait du bien d’être accompagné quand on ne sait pas par où commencer», soufflait un candidat.
«On ne voulait pas que l’accès à une cuisine équipée soit un frein»
A 27 ans, Yamina a sauté le pas pour sortir de son appartement et rencontrer des gens. «Je n’avais pas beaucoup d’occasions de sortir dans le quartier. Et comme je cuisine beaucoup chez moi pour mes quatre enfants, j’y ai vu un moyen de partager mon amour de la cuisine avec d’autres. Mais cette fois-ci, j’ai surtout cuisiné pour moi», reconnaît la jeune femme qui travaillait dans une boulangerie en Algérie avant de venir s’installer en France. Pour participer au concours, dont l’inscription était gratuite, Vrac a offert à chaque participant un bon de 30 euros pour un panier d’achat. La cuisine du centre de loisirs était également mise à disposition pendant les ateliers et tout l’après-midi précédant la soirée concours. «On ne voulait pas que l’accès aux aliments et à une cuisine équipée soit un frein, pointe Alicia. Sur la dizaine de participants, il faut savoir que la plupart vivent dans de petits appartements, c’est beaucoup de logements sociaux. Souvent, ils ont juste une plaque pour cuisiner.» Sur scène, Amina a été acclamée par le public, venu en nombre, pour son «tajine de saison». Elle a remporté le coup de cœur du jury.
Dans le public, Lucille n’avait d’yeux que pour son fils Joshua, 6 ans. Son éclair au chocolat à la pistache et à la framboise a fait l’unanimité et remporté le classement des plats sucrés. «C’est beaucoup de bonheur de voir à quel point il s’implique», commentait la jeune mère, mitraillant de photos son cadet avec son téléphone portable. «Joshua est hyperactif, il a beaucoup de mal à se concentrer. Il fait beaucoup de foot et mes proches me disaient que ça serait impossible pour lui de participer à ce concours sans finir par se désintéresser et s’ennuyer. Résultat, je ne l’ai jamais vu aussi concentré et appliqué», rapporte Lucille, très émue.
«La diversité culturelle est une vraie richesse, surtout en cuisine»
«Pour départager les candidats, on a jugé le goût, l’esthétique, la saisonnalité des produits et la créativité et je dois dire que pour des amateurs on a été très agréablement surpris par le niveau, expliquait Frédéric, membre du jury. En allant au plus près des gens, là où ils vivent et en goûtant leur cuisine, on revient à l’essence même de notre métier de cuisinier : le partage. C’est une initiative que je salue», livrait le chef girondin, à la tête d’un food-truck gastronomique. Le calendrier étant contraint, les gagnants du concours Vrac 2023, à Beaudésert, ne pourront toutefois pas participer à la grande finale nationale. «Nous devions envoyer des candidatures très tôt, avant de connaître les résultats de la soirée du 25 mai, on a donc décidé d’envoyer les finalistes de l’année 2022», précise Alicia, qui les accompagnera pour les soutenir.
«C’est bien que, pour une fois, un quartier comme le nôtre soit mis en valeur. La diversité culturelle est une vraie richesse, surtout en cuisine. J’ai senti les chefs très émus, glissait Samia, une jeune étudiante venue par hasard en rentrant chez elle. Je sortais du tram quand j’ai entendu de la musique au loin. C’était une très belle surprise», poursuit la jeune femme qui s’est éclipsée discrètement après la présentation de tous les plats, ravie d’avoir assisté au «Top chef des quartiers».