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Libération
Reportage

A Rive-de-Gier, «on ne se vit pas comme une ville de banlieue»

A mi-distance de Saint-Etienne et Lyon, la municipalité s’est engagée dans un ambitieux plan d’aménagement de renouvellement urbain.
(André Derainne/Liberation)
par Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 10 juin 2024 à 21h18

Un enfant d’une dizaine d’années joue de la trompette derrière une vitre colorée en jaune. Au fond du couloir, dans une autre salle, on aperçoit une femme, la soixantaine, qui hésite en plaçant ses doigts sur les cordes d’un violon. Dans la grande pièce conçue pour les répétitions de l’orchestre, un jeune prof de musique fait une démonstration de xylophone à deux adolescents. Ce mercredi après-midi, le conservatoire de Rive-de-Gier bruisse du son d’une kyrielle d’instruments. On les entend lorsqu’on se balade dans les couloirs, mais les murs, les planchers et les plafonds ont été soigneusement insonorisés pour que personne ne se gêne en montant ses gammes ou en préparant un concert. Retapé et réaménagé de fond en comble, le bâtiment a été inauguré il y a deux mois et demi. Il est l’un des symboles d’un projet de rénovation urbain plus vaste, dans la petite ville de Rive-de-Gier.

Peuplée de 15 000 habitants, cette ancienne cité industrielle de la Loire a connu son heure de gloire à la fin du XIXe siècle. A cette époque, une armée d’ouvriers étaient employés à l’extraction du charbon affleurant ou aux usines de verrerie et de métallurgie. Et la ville a poussé comme elle a pu, encaissée entre les collines, laissant en héritage «un urbanisme très dense, qui entremêle habitat ouvrier et habitat bourgeois, des lieux de production et de services», retrace Vincent Bony, son maire communiste, également vice-président de Saint-Etienne Métropole. «L’industrie lourde en cœur de ville appartient à une époque révolue» et à mesure que la «déprise économique» s’est accentuée, la «reprise des friches industrielles est devenue un enjeu majeur», explique-t-il. «Point de passage obligé» entre Lyon et Saint-Etienne via la voie ferrée ou l’A47 prolongée par la RN88, Rive-de-Gier vise pourtant un autre avenir que celui conditionné par le transit entre les deux métropoles.

«Ici, on ne se vit pas comme une ville de banlieue»

Pour devenir une ville plus attractive et plus autonome vis-à-vis de ses grandes voisines, où chaque matin les trois quarts de la population partent travailler, la municipalité s’est engagée dans un plan d’aménagement sur dix ans dans le cadre du Nouveau Programme national de renouvellement urbain. D’ici 2028, plus de 60 millions d’euros vont être investis pour reconvertir le centre ancien, paupérisé, de cette bourgade populaire où près de 60 % de la population est exemptée d’impôts en raison de ses faibles revenus. Un autre axe : miser sur un patrimoine riche et diversifié, jusqu’alors peu valorisé, pour améliorer le cadre de vie et potentialiser sa «centralité». «Ici, on ne se vit pas comme une ville de banlieue, ce sont Saint-Etienne et Lyon qui sont les banlieues de Rive-de-Gier, et non l’inverse, plaisante Vincent Bony. Ça paraît coincé au fond de la vallée, mais il existe une vraie identité, avec un développement culturel très important.»

Ouvrir le conservatoire à tous

Hormis l’édification des nouveaux logements pour favoriser la mixité sociale, l’un des pans du programme concerne justement l’installation du conservatoire de musique, auparavant dispersé sur quatre sites, dans l’ancienne école Victor-Hugo, au pied de laquelle le Jardin des plantes va être totalement redessiné. Ce mercredi de fin mai, il se résume encore à une colline de terre nue plantée de quelques vénérables arbres que les machines de chantier contournent soigneusement. A l’arrière du conservatoire, en revanche, la scène de plein air a profité des pluies abondantes pour se parer de vert. Elle s’apprête à être inaugurée, en musique évidemment, du 21 au 23 juin. Mais la couleur phare du lieu reste le «bleu Majorelle», une teinte vive et lumineuse aux accents d’outre-mer. On la retrouve en fil conducteur du bâtiment en forme de U, fréquenté cette année par près de 320 élèves.

Sans compter d’autres recrues : les élèves des «classes orchestres» lancées dans deux écoles de ce quartier classé politique de la ville (QPV). «C’est un apprentissage, sur le temps scolaire et en groupe, de la musique sur la famille des cordes au sein du conservatoire», explique Jean-Baptiste Thiriet, son directeur. L’objectif : «Casser les barrières de l’image élitiste» de l’établissement, amener les enfants à une pratique collective afin de «croiser les communautés et les générations». Dès l’ouverture du conservatoire mi-mars, une «visite des voisins» a été organisée. «Des familles entières sont venues, ça a créé des liens. Ça doit devenir un pôle d’attraction culturelle, en parallèle du cinéma et de la médiathèque qui ont un public différent, projette Jean-Baptiste Thiriet. Personne ne doit avoir peur de rentrer ici, ça ne doit pas être un monument étranger.»