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Climat Libé Tour

A Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis, à petits pas pour le climat

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L’Académie du Climat, Oxfam et l’association Banlieues Climat organisaient ce samedi une marche centrée sur la pollution de l’air. Un évènement jeune et festif organisé par et pour les habitants des quartiers populaires, soucieux de se réapproprier le combat écologique.
Devant la mairie de Saint-Ouen, au départ de la marche pour le climat organisée dans le cadre du Climat Libé Tour par Banlieues Climat. Crédit: Antoine de Raigniac / CFJ / Hans Lucas
par Vincent Marcelin, étudiant journaliste au CFJ
publié le 31 mars 2024 à 16h40

Depuis ses débuts, le Climat Libé Tour, événement tourné vers la jeunesse, associe à chacune de ses étapes une école de journalistes locale (CFJ à Paris, ESJ à Lille ou Dunkerque, Ejcam à Marseille, Ijba à Bordeaux) afin que les étudiants couvrent, avec leurs regards, l’actualité des forums. Reportages, comptes rendus, portraits, photos et édition… Ces articles sont issus de leur travail.

«Ça a commencé ?» questionne en souriant un jeune homme membre de Banlieues Climat. «Ça», c’est-à-dire le rassemblement qu’organise ce samedi 30 mars l’association qui porte l’écologie dans les quartiers populaires, sur le thème de la pollution de l’air. Mais à 14 heures, horaire du début du rassemblement, les participants commencent seulement à affluer sur le parvis de la mairie de Saint-Ouen, pour une marche à l’ambiance décontractée qui tranche avec les codes traditionnels de la manifestation. Les rares pancartes attendent sagement dans un carton, sweats et joggings sont ce jour-là les uniformes de la lutte, et au lieu des habituels chants revendicatifs les enceintes diffusent les mélodies mélancoliques des rappeurs Tif et Zamdane.

«Je suis ému de vous voir tous réunis ici», déclare Maël Crinière, membre du collectif de jeunes de l’Académie du climat et coorganisateur de l’événement, à la cinquantaine de participants réunis devant la scène montée pour l’occasion. La main qui tient ses notes tremble légèrement, mais la voix est forte et le message clair. «Pour nous, l’enjeu n’est pas nécessairement le nombre de participants, mais le fait de montrer que l’écologie concerne directement les quartiers populaires», confie Maël.

Dans l’assistance, quelques responsables associatifs et élus locaux, mais surtout de nombreux jeunes membres du collectif Banlieues Climat, qui forme partout en France les jeunes des quartiers populaires aux enjeux écologiques. «La pollution de l’air est un sujet encore très peu abordé, analysé et étudié alors que nous sommes beaucoup à en souffrir», déplore Rania Daki, formatrice à Banlieue Climat, chaudement acclamée par ses camarades venus principalement des banlieues strasbourgeoises et parisiennes. Originaire d’Aubervilliers, Rania se souvient avoir grandi «avec des usines de partout», dans une ville «toujours en chantier», s’interrogeant alors sur les impacts des épaisses fumées que l’étudiante en école d’ingénieur constate quotidiennement.

«Regardez cet arbre il pleure, miskine»

Les applaudissements se font encore plus nourris lorsque s’avance sur la scène Féris Barkat, 21 ans et initiateur du projet Banlieues Climat. Le jeune homme au dégradé ciselé s’est imposé en quelques mois comme une figure de la lutte écologique dans les quartiers populaires. «Faites du bruit, j’entends rien !», entame-t-il, s’improvisant chauffeur de salle, avant d’inviter ses copains de l’association à le rejoindre sur scène. Une ambiance chaleureuse qui tranche avec le constat glaçant dressé par Féris : «La pollution de l’air c’est 49 000 à 100 000 morts par an», explique le jeune homme, qui s’embarque ensuite dans une séance de vulgarisation sur les conséquences invisibles des microparticules polluantes sur les cellules nerveuses, qui touchent majoritairement les habitants des banlieues et en particulier les enfants.

«Même les arbres, ils sont en galère. Regardez cet arbre il pleure, miskine («le pauvre» en arabe), il a un lopin de terre et il n’y a que du béton autour», ironise Féris en pointant les branches flétries des quelques carrés végétaux sur le parvis de la mairie. Mêlant humour et pédagogie, le discours attire les rires et l’attention du public présent, selon la même recette que les ateliers de formation organisés par Banlieues Climat dans les quartiers populaires.

«A la base, je n’étais pas du tout intéressée par les questions écologiques. C’était trop flou pour moi, j’avais l’impression que c’était un truc de bobos parisiens qui mangent des graines de chia et du quinoa», explique Chayma, formatrice à Banlieues Climat originaire de Saint-Etienne, qui a rencontré Féris lors d’un atelier de formation il y a un an et demi. «Il a abordé la question environnementale avec des références qui nous parlaient vraiment, par exemple le manga One Piece. J’ai découvert à ce moment-là qu’il n’y avait pas qu’une seule manière de parler d’écologie», confie Chayma. L’étudiante en école d’ingénieur, passionnée d’éducation, ambitionne de former des élèves d’école primaire aux enjeux écologiques.

Poignées de main, cravate verte et batucada

Mais la marche ne se limite pas à des enjeux de sensibilisation. «Aujourd’hui les caméras sont là, on est contents, mais ce n’est pas parce que l’on discute que les choses avancent», alerte Féris, qui appelle à des mesures concrètes pour accompagner les habitants des quartiers populaires. Il cite en exemple la directive Air en cours de négociation au Parlement européen, qui vise notamment à instaurer un droit à la compensation permettant aux citoyens d’attaquer l’Etat en justice en cas de maladies liées à la pollution de l’air.

Les passes d’armes au micro entre les jeunes sur scène sont soudain interrompues par l’arrivée du maire de Saint-Ouen Karim Bouamrane, qui multiplie les poignées de main et salue la petite foule tel un footballeur en présentation officielle dans son nouveau club. «Ces jeunes montrent qu’il n’y a pas d’assignation intellectuelle sur une question aussi noble que l’écologie, qui concerne tout le monde», se réjouit-il, avant de revêtir sur ses épaules la cravate verte portée par les jeunes de Banlieues climat. La mobilisation que soutient la ville qui accueillera à la rentrée prochaine la première Ecole populaire du climat.

Mais pas question de transformer en meeting politique l’événement de ce samedi, qui laisse également place à l’improvisation. Après la dislocation des marcheurs dans différents lieux emblématiques de la pollution de l’air dans les quartiers populaires, l’un des groupes finit par se perdre dans la procession du carnaval brésilien de Saint-Ouen. Feris Barkat et ses camarades troquent ainsi les pancartes et slogans pour se déhancher au rythme des percussions de batucada et des coups de sifflet. « Nous allons former des ambassadeurs pour nous rendre à la COP 30 à Belém. C’est un peu un regard croisé du 93 au Brésil», lance Sana Saitouli, avant de se replonger dans le vacarme festif de cette marche climat d’un nouveau genre.