Energie, transports, rénovation durable, végétalisation… En 2023, «Libé» explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous inédits. Objectif : témoigner des enjeux et trouver des solutions au plus près des territoires. Cinquième étape à Nantes les 18 et 19 novembre.
Le Climat Libé Tour s’arrête à Nantes : difficile de trouver meilleur endroit pour se demander comment réinventer nos manières d’habiter nos terres, quand le chef-lieu de la Loire-Atlantique se trouve à une vingtaine de kilomètres de la commune de Notre-Dame-des-Landes. C’est là qu’en 2009 est née la ZAD la plus connue de l’Hexagone, devenue l’étendard de nombreuses luttes écologistes et où les résidents expérimentent, depuis que le projet d’aéroport a été enterré en 2018, de nouvelles manières de faire de l’agriculture et de l’élevage.
C’est aussi là qu’a été fondé le collectif des Soulèvements de la Terre, en 2021, qui s’est placé au centre du débat public à la faveur de son engagement contre les mégabassines, qui a culminé lors d’un affrontement de près de 30 000 militants écologistes (selon les organisateurs) contre plus de 3 000 policiers et gendarmes à Sainte-Soline en mars. Pour le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ces militants sont des «écoterroristes». Le terme, qui n’a aucune réalité dans le code pénal français, a été invalidé par le Parquet national antiterroriste (lequel a affirmé «n’avoir aucune procédure pénale en cours» concernant l’écoterrorisme). Mais l’anathème reste : après avoir été qualifiés d’amish ou d’ayatollah verts, voici les écologistes comparés à des terroristes. Le Journal d’ici, canard local du Tarn et du Lauragais en faveur du projet d’autoroute A69 contesté par plusieurs associations écologistes, écrit ainsi (sans craindre le ridicule) : «De même que les Palestiniens sont d’abord les victimes du Hamas, le désenclavement du bassin Castres-Mazamet est devenu l’otage des écoterroristes.»
Pratique du «désarmement»
Si l’on entend à présent des militants clamer «nous sommes tous des écoterroristes» avec une certaine dérision, les mouvements écologistes ont aussi fourni un travail pour savoir comment parler d’eux et de leurs actions. Plutôt que de «sabotage», ils préfèrent mettre en avant la pratique du «désarmement», rhétorique qui transforme leurs cibles (une bassine, une cimenterie, une autoroute) en armes écocidaires – le quotidien britannique de référence, The Guardian, parlait récemment de «bombes climatiques» à propos des nouveaux projets d’énergies fossiles. Le philosophe marxiste Frédéric Lordon lançait de son côté un appel aux jeunes : «Ne soyez plus éco-anxieux, je vous invite à être ce que je suis : éco-furieux ! Là, au moins, on fait quelque chose de précis.»
Interrogée par Libé au lendemain des propos de Gérald Darmanin, Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des mobilisations écologistes, observait que le ministre de l’Intérieur utilisait «une stratégie récurrente, qui consiste à stigmatiser une partie de la mobilisation pour construire une image médiatique des militants à partir de la frange la plus radicale» afin de délégitimer les revendications de l’ensemble du mouvement. Mais elle ajoute, à présent : avec le retour des attentats et du plan Vigilance attentats, qui «rebat la perception ambiante sur ce qu’est le terrorisme, les contraintes vont être plus fortes sur le mouvement social, tout en ayant un système institutionnel marqué par la séparation des pouvoirs avec une forme de contrôle des juges sur les décisions gouvernementales.»
«Dire, c’est faire»
Gérald Darmanin avait qualifié de «terrorisme intellectuel» le soutien apporté par les intellectuels aux Soulèvements de la Terre (parmi lesquels l’anthropologue Philippe Descola, professeur au collège de France pendant vingt ans et médaille d’or du CNRS). Mais surtout, parler de «terrorisme» permet de mobiliser les moyens de la lutte antiterroriste contre les militants écologistes. Déjà, les opposants au projet d’enfouissement de déchets nucléaire à Bure (Meuse), avaient fait l’objet d’une surveillance massive empruntant les procédures de la lutte antiterroriste (un millier de discussions retranscrites et plus de 85 000 conversations et messages interceptés). En juin, d’après plusieurs témoignages concordants, c’est la sous-direction antiterroriste qui a participé à des perquisitions sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Il paraît que «dire, c’est faire» : parfois, une certaine manière de dire permet une certaine manière de faire.