Comment fournir une alimentation durable et de qualité à toutes et tous ? Enquêtes, portraits, témoignages et reportages... Un dossier réalisé en partenariat avec l’association «Vers un réseau d’achat en commun» à l’occasion de ses 10 ans.
«J’ai grandi dans la ferme de mes grands-parents, au Brésil, et la cuisine faisait partie intégrante de mon éducation. C’étaient les femmes qui faisaient à manger, qui nourrissaient. La première fois qu’on m’a chargée d’une cuisson, toute petite, perchée sur un tabouret pour atteindre la casserole, j’ai fait brûler le riz ! Et je me suis alors promis de ne plus jamais être inattentive en cuisine. Mais l’idée de devenir cheffe est née plus tard, quand j’ai rejoint comme apprentie l’équipe de William Ledeuil, qui venait d’obtenir une étoile au Michelin. Je me suis dit que j’allais tout faire pour porter ses valeurs. La générosité est primordiale à mes yeux : la cuisine c’est un don. Je mets un peu de moi dans chaque plat, dans chaque recette. Je travaille avec des produits locaux, frais, de saison, et souvent bio. Alors que la planète se réchauffe, je crois qu’il faut accepter de payer plus cher pour cela ; c’est d’ailleurs la même chose pour l’énergie, et demain pour l’eau. Grâce à la complémentarité entre mon épicerie-bistrot et le restaurant gastronomique Nosso, j’évite les pertes alimentaires, tout en ouvrant davantage l’accès à ma cuisine.
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«Refaire un plat vingt fois, quarante fois, avant de le réussir à la perfection, c’est un marathon : cela exige de l’effort, de l’endurance, de la discipline, de la performance. C’est un truc de sportif ! La cuisine est un métier passion, c’est très dur, mais cela permet d’apprendre tout en gagnant un salaire. Et si on y va à fond la caisse, alors on peut aller très loin, même si pour les femmes, c’est plus compliqué. Notre vie n’est pas linéaire. Quand je suis arrivée en France à 22 ans, j’avais un enfant de 5 ans. Ma priorité était de manger, de payer un toit pour élever mon fils, tout de suite. Je ne pouvais pas attendre de finir l’université. Et quand ma fille est née, j’ai pratiquement aménagé sa chambre dans le restaurant ; elle pleurait, j’accourrais.
«J’aime la cuisine simple, enfantine, qui suscite bonheur et confiance»
«J’aime la cuisine accessible, y compris au niveau du palais. Je ne comprends pas les plats de certains restaurants – peut-être traduisent-ils une philosophie trop sophistiquée ? Actuellement, nous servons au Nosso un dessert à la rhubarbe et à l’asperge. C’est un carton. L’acidité de la rhubarbe s’associe parfaitement avec le côté terreux de l’asperge. Et on reconnaît bien les deux saveurs. J’aime la cuisine simple, enfantine, qui suscite bonheur et confiance, parce qu’on ne trahit pas le produit. Je n’oublie pas qu’on va au restaurant pour manger.
«Une fois par mois environ, je cuisine pour les personnes en difficulté du Refettorio Paris, un restaurant solidaire. Nous travaillons avec les invendus pour nourrir 90 personnes par jour. J’ai l’impression que mon métier de cuisinière prend davantage de sens encore quand je nourris des gens qui ont faim. C’est ma façon à moi, très modeste, de rester fidèle à mes valeurs, mes racines, malgré le sentiment de déconnexion que peut créer la haute gastronomie. Cela aurait pu être moi, sur les bancs du Refettorio, à avoir recours à l’aide alimentaire ; j’avais tout pour être là.»