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Reportage

Alimentation durable : à Bègles, les «supercoopains» tiennent la caisse

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Depuis sept ans, des bénévoles du magasin girondin «Supercoop» font vivre une alternative à la grande distribution en valorisant des produits sains et équitables.
Tout le monde peut faire ses courses au supermarché coopératif à condition de participer trois heures, toutes les quatre semaines, à son fonctionnement. (Amélie Chassary/Libération)
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux
publié le 22 février 2025 à 16h40

«16 h 30, c’est l’heure de la relève de la garde, comme à Buckingham !» plaisante Jean-Paul Taillardas, président depuis janvier 2023 du magasin Supercoop, à Bègles, en banlieue bordelaise. A l’autre bout des rayons, le rituel a déjà commencé entre deux bénévoles : Séverine, projectionniste, enlève son tablier et passe le flambeau à Daniel, retraité. Le duo pivote vers un grand tableau blanc baptisé «Tâchoscope». Recouvert d’ingénieux pictogrammes, il résume en un coup d’œil les tâches à effectuer, de la réception des commandes à la mise en rayon en passant par le contrôle des températures, le ménage ou la vérification des dates limites de consommation. Ici, les clients ont la particularité d’être aussi… les patrons. Le concept de ce supermarché coopératif et participatif ouvert il y a sept ans est simple : tout le monde peut y faire ses courses à condition de participer trois heures, toutes les quatre semaines, à son fonctionnement.

Retraités, cadres, étudiants, fonctionnaires… Tous les adhérents ont en commun la volonté de consommer plus durablement. «J’aime aussi l’idée de comprendre les coulisses de la distribution, d’avoir une meilleure visibilité sur la provenance de ce que j’achète», déroule Philippe, bénévole et ingénieur à la retraite. Parmi les 600 adhérents, 350 d’entre eux sont bénévoles – dont 70 % de femmes. Les personnes en situation de handicap, les femmes enceintes, les personnes âgées ou les malades peuvent être exemptés s’ils le souhaitent. Trois salariés à temps plein, ainsi qu’une alternante, complètent les équipes qui tournent globalement sur une amplitude horaire comprise entre 9 et 20 heures. «Ce lieu, c’est une alternative à la grande distribution pour tous ceux qui en ont marre des magouilles, des produits importés de l’autre bout de la planète et des prix gonflés», résume Jean-Paul Taillardas. Sur les étals, il pointe des poireaux de Dordogne, des côtelettes de porc des Landes, du tofu de Martignas, en Gironde… «La priorité va toujours au bio et aux circuits courts. On s’assure également de rémunérer au plus juste les producteurs et les fabricants», poursuit-il.

«De plus en plus d’adeptes»

Avant de se matérialiser à Bègles, l’idée a germé en 2015 dans l’esprit d’Anne Monloubou, une architecte paysagiste bordelaise. En quête d’une alimentation de qualité à des prix accessibles, elle a un déclic lors d’un voyage à New York, après une discussion avec une amie bénévole à Park Slop Coop Food, un magasin du même genre installé dans le quartier de Brooklyn depuis les années 1970. De retour en Gironde, elle décortique le modèle avant de s’évertuer à le reproduire les années suivantes. «Ce qu’elle ne savait pas, c’est qu’au même moment, la Louve, à Paris, suivait la même trajectoire. C’est aujourd’hui une référence qui a essaimé partout et qui trouve de plus en plus d’adeptes», raconte Jean-Paul Taillardas.

Une décennie plus tard, la greffe a pris. Dans le supermarché béglais, plus de 3 000 références sont proposées quotidiennement. 80 % de l’espace est dédié à l’alimentaire, dont une grande partie en vrac. Le reste des rayons est occupé par les produits d’hygiène, d’entretien, animaliers… L’objectif est de permettre aux «supercoopines et supercoopains», comme ils aiment se surnommer entre eux, d’y faire la totalité de leurs courses. Pour évaluer la pertinence des produits, une sorte de baromètre a été fixé : en dessous de 50 euros de vente annuelle, l’item est abandonné. A l’inverse, faire rentrer une nouvelle référence demande de répondre à quatre critères : le prix, la qualité (pas de colorants ni de conservateurs notamment), l’éthique et les contraintes logistiques. Des sondages sont régulièrement organisés pour s’adapter à la demande.

«Cheminement de la terre à l’assiette»

Lors de la première inscription, les bénévoles s’engagent à acquérir dix actions de dix euros, soit cent euros réglables en plusieurs fois. Ces parts, en plus des heures de bénévolat, leur donnent le droit de faire des courses sur place. En avril 2023, le chiffre d’affaires de Supercoop atteignait 997 000 euros sur les douze derniers mois. «On ne va pas se mentir, on commence un peu à stagner niveau effectif. Il faudrait doubler le nombre de bénévoles pour moins ramer entre le loyer à payer, les salaires et l’achat des produits», concède Jean-Paul Taillardas. Par souci de transparence, le supermarché a fait le choix d’une marge unique de 23 %. Le bénéfice est réinvesti dans le fonctionnement du magasin.

Pascale, ancienne instit et bénévole depuis trois ans, a entendu parler du supermarché par l’intermédiaire d’amis adhérents. Elle y fait depuis quasiment toutes ses courses. «Je faisais déjà attention à la manière de m’alimenter, mais je dois dire que c’est mon fils de 27 ans qui m’a ouvert les yeux sur certaines pratiques de la grande distribution. Il est davantage sensibilisé à la surconsommation», confie la retraitée. En regardant en arrière, Pascale se dit «lucide» : «Je fais partie de cette génération à qui on répétait en boucle durant l’enfance qu’il fallait manger une fois par jour de la viande et du poisson. Celle qui feuilletait les publicités avec bonheur juste pour le plaisir d’acheter, sans réfléchir à mes vrais besoins. Ici, la plupart du temps, on a cette satisfaction de voir tout le cheminement de la terre à l’assiette. Cela me semble plus éthique

Dans les allées, l’équipe de bénévoles du jour s’affaire. Chaque coopérateur se transforme en responsable de rayon, marchand de légumes… De temps en temps, le chant d’un oiseau s’élève, c’est le signe que quelqu’un est rentré. Derrière la caisse, Daniel commence son service, saluant ses collègues qui viennent remplir leurs paniers. «On met un point d’honneur à n’avoir aucune hiérarchie. L’organisation est totalement horizontale et fonctionne grâce au bon sens. On a quand même un médiateur pour gérer d’éventuels conflits, mais ce que je peux vous dire, c’est qu’il n’est pas débordé», s’amuse le président du magasin. Au moment où il franchit la porte, chaque coopérateur est chez lui. A Supercoop, on n’est pas chez monsieur Leclerc ou monsieur Auchan, l’esprit de communauté fait aussi partie de l’expérience.»