Comment changer les mentalités et enrayer notre «culture de la voiture» ? Une mobilité durable et socialement acceptable est-elle possible ? Telles étaient les grandes questions du dernier débat de la journée en présence de Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile, Laurent Perron, chef de projet industrie automobile au Shift Project, Théodore Tallent, chercheur-doctorant et enseignant en science politique à Sciences-Po et Alma Dufour, députée LFI. Rencontre avec cette dernière, partisane d’un investissement dans les transports en commun en parallèle de celui dans la voiture électrique.
Doit-on tendre vers un parc automobile entièrement composé de voitures électriques ?
Oui, et il n’y a aucune limite à cela. Il faut qu’on arrête avec la voiture thermique. La seule question, c’est le temps et il faut faire les choses dans le bon ordre. On ne peut pas tous demain passer du thermique à l’électrique. C’est physiquement impossible. Il faut du réseau électrique en plus pour pouvoir recharger les batteries et de la production en plus pour pouvoir consommer. Jusqu’à présent, on exporte plus d’électricité. On est encore excédentaire [sur l’année 2021, ndlr] mais on n’a pas la marge pour passer toutes les voitures existantes à l’électrique sans rajouter des éoliennes, de l’énergie solaire, etc.
On a une échelle de dix ans pour que les voitures qui restent en circulation en France soient des voitures électriques. Et il va falloir réduire de toute manière le nombre de véhicules en circulation. Donc physiquement le réseau ne tiendra pas si on roule tous à l’électrique dans vingt ans. Il faut développer massivement les transports en commun dans les villes et toute leur périurbanité. Pour moi c’est ce tissu urbain qui s’étend assez loin des grandes villes qui mérite d’avoir des transports réguliers. Il n’y a que dans les territoires très ruraux où on ne pourra se passer de la voiture : ce n’est pas possible d’avoir une gare dans tous les villages de France.
Bruno Le Maire considère que le projet de leasing social présenté par Emmanuel Macron est «une révolution», qu’en pensez-vous ? Si c’est le cas, arrive-t-elle au bon moment ?
J’attends déjà qu’elle arrive vraiment. Pour l’instant ça n’existe toujours pas. Sur l’électrique, faire un leasing à 100 euros, ce n’est pas vraiment réalisable économiquement parlant. Dans l’état, en tout cas, des attentes de rentabilité des acteurs impliqués et notamment des sociétés de leasing… Et devinez quoi ! Ce sont les filiales des plus grandes banques françaises. Loin de grands philanthropes qui ne veulent rien gagner sur ce type d’opération. La question est donc : qui va payer la différence ? J’attends qu’on me clarifie le modèle et qu’on me dise où va l’argent.
Comment on brise la tradition de la voiture à passager unique dans un pays dont le Président dit «adorer la bagnole» ?
Pour moi, ce qui compte le plus, c’est la praticité. Je suis à la fois usagère de voitures au quotidien quand je suis à Rouen et des transports en commun quand je suis à Paris. A Paris intra-muros, il ne me viendrait pas à l’idée de me déplacer autrement tellement il y a d’embouteillages et tellement l’offre de transports en commun est abondante. Si vous êtes en banlieue, la question de la praticité revient tout de suite. Quand je suis dans la banlieue de Rouen, pour faire le tour de ma circonscription, je ne vais pas faire deux heures trente de bus pour aller à un rendez-vous. Mon imaginaire s’adapte à la praticité. Je pense qu’à partir du moment où vous rendrez les choses peu chères et pratiques pour les gens, cette histoire d’imaginaire va changer rapidement.
Pour revenir au sujet des voitures électriques, il faut un effort des deux côtés. L’Etat doit intervenir en termes financiers mais il faut que les constructeurs acceptent de baisser leur marge. Je pense qu’on a très mal fait de privatiser des sociétés aussi importantes dans le transport et l’énergie. Ce sont des choix tellement déterminants pour la transition écologique et le bien-être social des gens qu’on ne peut pas les laisser aux mains des intérêts privés des actionnaires. Ce sont des choix qui engagent toute la société pour quinze ans. Sur les transports en commun, c’est public donc c’est à l’Etat d’investir. Il n’y a pas d’autre solution miracle. L’Etat est le seul à pouvoir s’endetter vraiment et à pouvoir créer un impôt s’il le décide.