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Le 22 mars 2022, Libération et l’ONG ONE organisent une journée spéciale pour interpeller les candidats à la présidentielle sur le retour de l’extrême pauvreté partout sur la planète et ses conséquences sur les grands défis qui nous attendent. Au programme : réchauffement climatique, poids de la dette, aide publique au développement, sécurité alimentaire… Rendez-vous au Théâtre du Rond-Point dès 9 heures. Un cahier spécial de 20 pages accompagnera cet événement, dans l’édition de Libération du 22 mars.
«Nous accumulions dettes et déficits […], notre pays perdait […] son rang» ; «un jour, il faut payer ses dettes» ; «Notre véritable enjeu […], c’est de contenir, puis de réduire, notre endettement.» Trois déclarations, chacune prononcée par trois présidents de la République, respectivement Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron, chacun pour justifier des politiques «austéritaires». L’argent magique n’existerait pas, pourtant la seule dette des pays riches a augmenté de 19 points de PIB pour encaisser le choc de la pandémie. Ces mêmes pays ont cependant continué à demander des efforts au pays les plus pauvres malgré des conditions de financement bien plus restrictives compte tenu de dettes insoutenables.
Lorsque l’on écoute les dirigeants des pays riches, l’annulation de la dette est a priori impossible, l’Etat est considéré comme une entreprise ou un ménage. Accepter cette situation, c’est renier le fait que l’Etat ne peut pas disparaître et joue seul, ce rôle majeur au profit de la collectivité et des générations futures, en investissant dans des services sociaux de qualité ou dans la transition écologique.
Le remboursement de la dette est utilisé comme outil de domination, afin de justifier des taux d’intérêt insupportables ou l’impossibilité de mettre en œuvre une politique sociale car son coût est trop élevé. Pour les pays sahéliens, le remboursement annuel de leurs dettes est par exemple équivalent à 140 % de leurs budgets de santé. Ce discours sur la dette souveraine est donc erroné, la pandémie ayant à la fois mis en exergue une crise de la dette en gestation et des financements insuffisants pour les services sociaux de base dans les pays en développement.
«Si nous payons, c’est nous qui allons mourir»
Gérés dans des espaces internationaux où seuls les pays riches créanciers siègent, les mécanismes de traitement des dettes insoutenables exonèrent les créanciers de leur coresponsabilité dans cet endettement et laissent les pays emprunteurs aux mains de créanciers privés de plus en plus puissants, quitte à mettre à terre les populations les plus vulnérables de la planète.
Dès 1987, Thomas Sankara, président du Burkina Faso, résumait la situation : «La dette ne peut pas être remboursée parce que, […], si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en sûrs. Par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir.» Un constat d’actualité alors qu’en 2020 la simple annulation des remboursements au Sahel aurait permis à 20 millions de personnes d’avoir accès aux soins de santé primaires. L’annulation de la dette n’est pas seulement possible, elle est souhaitable, c’est une décision politique saine lorsqu’un pays est face à un motif impérieux. Le prochain quinquennat devra même aller plus loin en mettant en place un cadre universel pour la résolution de ces crises en incluant les pays en développement, à l’image de l’engagement pris par le nouveau gouvernement allemand. Il serait irresponsable de ne pas avancer sur ce sujet à la lumière de l’actuelle crise des inégalités et aussi, même si les gouvernements riches se refusent à le voir pour l’instant, face à l’adaptation et l’atténuation nécessaire face aux changements climatiques.