Ils sont au cœur de toutes les problématiques actuelles : changement climatique, accès à l’eau, remise en questions des usages des pesticides et des produits cancérigènes, effondrement de la biodiversité, explosion du foncier, changements des habitudes de consommation… Confrontés à des bouleversements radicaux, les agriculteurs voient leur métier et leurs pratiques profondément bouleversés.
C’est la raison pour laquelle le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé mi-septembre la mise à disposition de «près d’un milliard d’euros» supplémentaire au budget 2024 pour favoriser l’installation d’exploitants, la transmission des fermes et la planification écologique. Le gouvernement prévoit aussi un «fonds de souveraineté alimentaire et de transition écologique» pour «permettre aux exploitations agricoles d’adapter localement leur modèle économique aux exigences de décarbonation des activités, de développement de la production d’énergie renouvelable ou d’adaptation au changement climatique».
Perte de 38% des exploitations entre 1988 et 2000
Mais la solution ne viendra pas uniquement de l’Etat. Elle devra aussi être pensée à la base, au plus près des exploitations. C’est le credo d’Elisabeth Rasse-Mercat. Cette agroéconomiste a longtemps travaillé dans les pays en développement ; professeure à l’institut d’agronomie de Montpellier, elle a monté avec le Parlement des liens et des étudiants, un projet de résidence innovant.
Pendant plusieurs mois, un ambitieux travail d’enquête va être mené sur le territoire de l’Uzège où l’on pratique l’élevage, la vigne ou les cultures maraîchères ou céréalières. Une petite région qui a évolué comme le pays : entre 1988 et 2000, le territoire a perdu 38 % de ses exploitations (dont les surfaces ont augmenté de 71 %). Un territoire où la monoculture s’est imposée et dont 90 % de la production est exportée. Un territoire où beaucoup de choses restent à inventer, aussi…
Barthélémy de Canson, 26 ans, est chargé de cette résidence qui s’est donnée comme mission de comprendre l’agriculture d’aujourd’hui pour réfléchir aux pratiques de demain. Inscrit en master à l’institut d’Agronomie, il a auparavant fait des études de sciences politiques à Lille. L’enquête vient de démarrer. L’étudiant a déjà rencontré un viticulteur et un éleveur ainsi que plusieurs acteurs de la communauté de communes et des associatifs qui l’ont aidé à comprendre les spécificités de ce territoire de plaines, de garrigues et de moyenne montagne modelé depuis des siècles par les agriculteurs.
«On ne remplit pas juste un questionnaire»
«Nous devons pouvoir retracer l’histoire agricole de la région en discutant avec les anciens, faire une analyse géographique pour comprendre pourquoi tel type d’exploitation s’est installé à cet endroit, pourquoi la polyculture a été abandonnée, entre autres chez les vignerons», explique-t-il. Après avoir dressé une typologie des exploitations, il fera une analyse économique de ces dernières, avant de se lancer dans les projections : «Nous allons essayer de comprendre celles et ceux qui s’en sortent bien, celles et ceux qui s’en tirent au RSA, et pourquoi. On ne remplit pas juste un questionnaire, on prend du temps pour comprendre une trajectoire individuelle et territoriale.»
A chaque fois, conclusions et analyses seront adressées aux agriculteurs, qui ne sont pas relégués à de simples sujets d’études mais bien considérés comme de véritables partenaires : «Il est très probable que la question de l’adaptation au changement climatique revienne souvent. Et certaines de nos conclusions seront sans doute dissonantes avec la réalité vécue par les agriculteurs.»
Le jeune homme est convaincu que cette enquête au long cours pourrait créer une nouvelle façon de dialoguer pour des acteurs qui parfois évoluent en parallèle : «On attend que l’agriculture crée de l’emploi, de l’alimentation, rende des services environnementaux… Mais avant d’évoquer les impératifs de changement ou d’adaptation, il faut comprendre la situation. C’est pourquoi la restitution de nos travaux auprès des citoyens, des élus locaux et des représentants des agriculteurs, doit fonctionner dans les deux sens.» «C’est un challenge !» conclut Elisabeth Rasse-Mercat, qui veut faire de l’agriculture comparée une solution pour parer les coups des bouleversements à venir.