S’informer, échanger, bousculer les certitudes sur des questions qui dérangent… Telle est l’ambition du Forum européen de bioéthique de Strasbourg. Au programme de cette quinzième édition, du 29 janvier au 1er février 2025 : la santé mentale.
Pour Patrick Légeron, psychiatre auteur en 2016 d’un rapport de l’académie de médecine sur le burn-out, et qui participera le 30 janvier à 18 heures au débat «Anxiété, dépression et burn-out. Le mal du siècle ?», la France est mal placée dans tous les aspects de la prévention des maladies cardiaques et de la santé mentale. «On nie les suicides qui ont pour cause le travail». Explications.
«Dans les pays d’Europe du nord, ces pathologies sont moins stigmatisées que chez nous, où l’on considère que la dépression est un signe de faiblesse, que le trouble mental ne concerne que les “forcenés”. Il y a une difficulté à faire travailler un partenaire social, construire un dialogue. Cela vient peut-être de notre culture judéo-chrétienne où la souffrance est rédemptrice, ce qui n’est pas le cas dans les pays protestants. Avoir l’air heureux au travail est suspect. Les politiques de santé au plan national sont très faibles. La grande conférence sur la santé mentale n’a débouché sur rien.
« Il y a une faible attractivité pour cette discipline : les jeunes internes en médecine la choisissent en dernier. On constate ainsi un manque criant de personnel et d’infirmiers. Cette profession est sinistrée en termes de recrutement. Il y aurait une réforme de la médecine du travail à opérer. J’ai été l’auteur du rapport remis à Xavier Bertrand lors des suicides à France Télécom. En gros, la direction mettait en avant la “faible et fragile personnalité” des gens qui se suicidaient, alors qu’en fait les raisons sont multifactoriels. Le travail peut y jouer un rôle important. Selon une enquête de l’Agence européenne de santé et sécurité au travail, parmi les 27 pays de l’Union, le score le plus haut sur le stress au travail est obtenu par la France. A la question “le manager est-il une source de stress ?” Les Français ont répondu oui à 60 % contre 10 % seulement en Norvège. A la question “l’entreprise se soucie-t-elle de la santé mentale ?”, 38 % des salariés français répondent non, contre 19 % en Allemagne. C’est préoccupant de voir la France si mal classée.
« Quelles pourraient être les pistes pour améliorer les choses ? D’abord, former les managers, à qui on apprend tout dans les écoles de commerce, sauf à manager les individus… Comprendre le fonctionnement psychologique des salariés, avoir des dirigeants qui ne soient pas des flics ou des surveillants mais puissent aussi aider. Responsabiliser les entreprises sur les dégâts qu’elles commettent, selon le principe du pollueur-payeur. Par ailleurs le burn-out n’est pas pris en charge par l’entreprise mais par la Sécurité sociale, et il touche plus de 500 000 personnes par an. Selon Santé publique France, un millier seulement sont reconnus comme maladie professionnelle.
« Le coût pour l’entreprise n’est pas important, alors que les troubles mentaux constituent la première cause d’arrêt de travail, le premier risque pour la santé du travailleur, devant le risque physique. Et il n’est pas financé par les employeurs ! Les pouvoirs publics devraient mettre en avant les entreprises qui s’intéressent à l’humain. On devrait voir une approche plus anglo-saxonne comme celle du “Name and shame”, (montrer du doigt et provoquer la honte, ndlr). C’est au gouvernement de mettre tout cela en place. Les jeunes générations sont préoccupées par le bien-être au travail. Si on peut prouver qu’un manager fait du harcèlement, que la charge de travail est trop importante, la dépression doit être reconnue comme une maladie professionnelle. Or cette démarche n’est même pas lancée, il existe un blocage au niveau du patronat.
« Aucune maladie mentale n’est reconnue dans la liste des maladies professionnelles. Pourtant des salariés en bonne santé sont plus motivés, c’est bon pour le business… Si on dépense un euro pour promouvoir la santé mentale cela évite au final d’en perdre trois.
« Bref, la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle par les pouvoirs publics, la formation des managers, l’attention portée à la surcharge de travail, des plages de temps laissées pour la sieste ou la relaxation, une correcte hygiène de vie, des hobbies qu’on mène en parallèle…, tout cela est à encourager. Ceux qui craquent sont souvent les plus investis. Or, il faut développer des pôles d’intérêt dans d’autres domaines que son seul boulot.»