Du 17 au 19 mars, auront lieu à Poitiers les premières Rencontres nationales de l’éducation populaire. Une réponse politique, sociale et culturelle aux enjeux de demain. Libération, partenaire de l’événement, proposera le 18 mars à 20h30 une table ronde sur le sujet. A suivre sur notre site.
On s’étonne souvent que la question de l’éducation populaire soit si absente des débats publics et trop peu prise en considération par les politiques. Or il est malheureusement très simple d’expliquer cette mise à distance : l’éducation populaire contient, en effet, ce dont l’éducation publique – symbole, fondement et façonnement de la République – se trouve de plus en plus privée. On pourrait même aller jusqu’à dire que le développement de la première menace la fabrication de la seconde.
Car ce que l’on nomme école publique en France, et que l’on continue de rêver comme porteuse du principe d’émancipation, semble plutôt se faire emporter bien loin de lui. Les réformes successives infligées ces dernières années aux écolier·e·s, étudiant·e·s et enseignant·e·s, se composent à l’exact opposé de ce sans quoi il ne peut y avoir aucune émancipation – à moins de confondre cette dernière avec le pur «dépassement de soi» (et surtout des autres) ou l’atteinte de l’excellence. Les principes d’auto-évaluation par les élèves, comme les lois dites d’«autonomie» de l’université ou, à un autre niveau, comme les politiques d’atomisation des pays qui, pour se protéger et rester performants, ferment leurs frontières aux arrivants en détresse (on sait déjà que l’accueil des réfugiés ukrainiens durera peu de temps) : tout dans le «public» et ses officiels représentants semble œuvrer à la fabrication d’individus acosmiques, en perte de monde car ayant perdu la pluralité sans lequel il n’y a pas de monde commun.
Pluralité
Ce qu’il y a en revanche, c’est une terre asséchée par des années de «course au progrès» et une société démembrée qui voit certains de ses membres coupés du corps commun faute d’y avoir fait leurs preuves. Il y a bien trop de manquants dans la somme des individus jugés valides, valables, sur lesquels on peut miser, pour que la société qu’on nous apprend à former puisse être encore apparentée à ce que l’éducation populaire, elle, porte en son cœur et en son nom : un peuple tout simplement. Populaire, c’est d’abord ça mais ce «ça» ne va plus de soi. Le pluriel comme le commun sont à recomposer et c’est à cela que s’affairent plusieurs initiatives nommées d’éducation populaire sans devoir rentrer dans une seule et unique définition. La pluralité qui les caractérise au-dedans se trouve aussi à la surface où se croisent démarches militantes, artistiques parfois, égalitaires toujours mais déclinées dans quantité de formes qui remettent un peu d’hétérogène et de commun, non comme Un, dans nos existences.
Ces autres manières d’apprendre à plusieurs ne s’adressent pas à un «public cible» : elles laissent la place au «public» de se refaçonner sous la forme d’une articulation de subjectivités expérimentant ensemble ce que «vivre ensemble» peut encore signifier. Elles ne prétendent pas «éclairer» ni donner à voir les vérités ; elles se contentent de créer les conditions pour que nos yeux restent ouverts et que nos regards puissent à nouveau circuler hors de la focale unique du «plan» de carrière et du succès individuel. Elles nous empêchent d’oublier que, tout autour de nous, «il y a quelqu’un» qui n’est pas mon rival dans le partage injuste de «la chose publique» mais l’un des composants du savoir-saveur collectif sans lequel la vie, comme la terre, s’assèche. Qu’apprend-on avec l’éduc pop ? Rien de plus et rien de moins que cela : exister avec le monde et non survivre sur la planète en danger ou dans la société menacée.